Affaire Madoff : Au-delà de celui des enablers le procès des complices – et son impact dans ceux des feeders ?

Posté le 7 octobre, 2013 dans actu / news, finance / eco

Madoff est en prison pour encore 146 ans mais la question demeure : comment a-t-il pu faire ça tout seul, et a-t-il réellement fait ça tout seul ? Au-delà de la profession que cela ne peut pas être possible, quels faits et quelles certitudes – ou inconnues – y a-t-il à ce jour ? Ceux qui ont déjà été condamnés pénalement, par des plaider coupable, les enablers, l’ont été pour des infractions pénales annexes mais nécessaires : essentiellement des faux dans les titres, dans la comptabilité et faux rapports à la SEC, mais pas pour participation consciente et volontaire à la fraude. Pour ceux qui en sont accusés mais qui le contestent, l’épreuve commence demain, soit leur procès – parce que précisément ils contestent avoir su et voulu. A l’accusation un témoin clé ayant avoué et collaborant pour atténuer sa peine à venir (jusqu’à 125 ans de prison) : Frank DiPascali, son ancien bras droit. Tout cela présente-t-il un intérêt cinq ans plus tard ? Oui pour diverses raisons. La première est de savoir une fois pour toutes si Madoff a agi seul ou non dans le coeur de sa fraude comme il l’avait affirmé. La seconde est de comprendre comment en termes opérationnels, c’est-à-dire de logistique et de contrôle dans un monde régulé, un ou plusieurs hommes font disparaître 17 milliards d’avoirs confiés, en les ayant fait fictivement fructifier à 65 et ayant tenu des milliers de comptes sur la base de données fausses de toutes pièces – sachant qu’un ponzi scheme est une fraude rudimentaire et séculaire : rembourser aux uns leurs profits et/ou leur capital avec celui des suivants. La troisième est de  comprendre comment dans un environnement régulé et des marchés électroniques publics (même si une partie des transactions, celles sur options, étaient OTC), ce groupe a pu tromper clients et professionnels – dépositaires, banques et feeder funds – soit déjouer tout contrôle ou toute réconciliation simples qui auraient fait tomber l’édifice.

Une quatrième est de comprendre comment et pourquoi ces complices nécessaires ont fait tourner ce montage si longtemps sans le ou se dénoncer. Frank DiPascali a passé 33 ans avec Madoff soit depuis 1975 à l’âge de 18 ans. Il en était devenu le CFO. Après avoir cru en son patron, il a réalisé dès les années 90 qu’il n’y avait pas de transactions sur titres. Dès cet instant la fraude est apparente pour quiconque le constate. Il a alors joué le jeu consciemment, mentant aux clients, falsifiant la documentation, pour un salaire et bonus de plus de 2 millions par an. Madoff et un seul vrai complice suffisaient-ils ? Pas pour l’accusation et sachant qu’il fallait un système de tenue des comptes sophistiqué pour mentir de manière cohérente et documentaire à 4’800 clients. Il ne suffisait pas d’indiquer des soldes fictifs mais de générer les millions (dans la durée) de transactions fictives qui devaient donner les soldes fictifs de chacun de manière cohérente et conforme aux règles – puisque BMIS était un broker dealer régulé. Puis réconcilier tout cela avec le compte omnibus de BMIS auprès de JPMorganChase s’agissant des apports, des retraits et des attestations fiscales. La nécessité de disposer d’un tel système entraine que deux programmateurs, le directeur des opérations et deux account managers sont aujourd’hui sur le banc. Avec Madoff lui-même, DiPascali et sept autres enablers ayant plaidé coupable, cela donne en l’état quatorze participants dont sept auteurs ou complices. La Nuit des Longs Couteaux sera longue puisque quatre des sept des enablers déjà condamnés sans avoir su, dont l’ex-réviseur David Friehling, témoigneront pour l’accusation contre ceux accusés d’avoir su. La circumstantial evidence suffit, soit dire que la tâche de plaider qu’ils n’avaient ni vu ni su sera difficile en dépit de leurs dénégations affirmées et de ce qu’ils vont au procès.

Vaste et important programme donc – mais avec quel impact possible pour les participants nécessaires et leurs victimes européens, c’est-à-dire les feeder funds, leurs animateurs et prestataires, et leurs clients ? Ces derniers ne sont pas remboursés sauf quelques accords passés avec quelques fonds et/ou banques ayant admis une responsabilité, au contraire des clients (directs) américains qui ont été remboursés en entier lorsqu’ils avaient moins de $ 875’000, et à hauteur de 43% plus $ 500’000 au-dessus – en l’état. La faute à ce fichu clawback qui bloque tous les calculs de montants à rendre, de dividende et de compensation des deux tant que la justice n’a pas tranché son étendue matérielle et temporelle – mais ce qui viendra. Convergence entre les enablers américains et européens, tous disent la bouche en coeur avoir été bernés, que ce n’est pas leur faute mais celle, établie, du fraudeur primaire, et qu’ils n’auraient bien sûr risqué ni leur réputation, ni leur commerce, ni leurs propres avoirs, s’ils avaient eu raison de se douter. Mais défense qui ne fait pas long feu. Les enablers plaidant avoir perdu leur propre argent ont en réalité essentiellement perdu leurs bénéfices fictifs réinvestis. Ensuite le gain et la martingale étaient tels qu’il y avait un aveuglement conscient sur le fantasme qu’il ne pouvait y avoir là, dans un tel contexte, une fraude, que c’était obligatoirement kasher. Et d’où la baisse de toutes les gardes et contrôles. La condamnation de complices détaillant le modus operandi sera utilisée par ceux qui plaident avoir été bernés par un schéma sophistiqué opéré par des acteurs a priori crédibles, respectables et régulés. Ceux qui le leur reprochent y glaneront les incohérences et failles du système Madoff – précisément indétectées par ceux qui ne voulaient pas voir et y avaient avantage. Cela promet : ce sera un long procès.

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