Affaire Renault F1 : Les (innombrables) conséquences juridiques et sportives au-delà de l’opprobre – et pénales également ?

Posté le 18 septembre, 2009 dans sport / sportlaw

L’affaire de la tricherie de Renault F1 a des implications et appelle des réflexions qui vont au-delà du « bouh c’est vilain, bah il y a toujours des tricheurs ou que la F1 de toutes façons c’est pourri et que c’est bien la preuve et que d’autres trichent sûrement tout autant ». Il y a l’étonnement que des personnalités comme Briatore et Symonds, qui ne manquent de rien, prennent le risque incroyable de perdre une chose importante même si sa valeur varie d’un individu à l’autre : la considération. Il y a le fait de prendre et d’assumer la décision de tricher, puis de vivre avec le fait que l’on a enfreint les régles et la morale, et faussé le résultat alors que l’équité sportive est pourtant la valeur fondamentale et in fine le fonds de commerce du sport. Il y a la candeur qu’ils ont eue de ne pas percevoir que le mobile et le modus operandi étaient assez apparents, et qu’il y aurait des preuves ne serait-ce que dans la télémétrie. Et il y a la candeur dans la confiance dans un pacte scélérat – celui que passent deux auteurs d’une action illicite, ici l’écurie ou les précités et le pilote complice. Qu’il s’agisse de banditisme, de corruption, de tricherie, de compromission politique, il y a toujours une faiblesse intime du pacte scélérat et qui est que l’intérêt de le respecter d’une partie disparaisse.  Or cet intérêt peut disparaître plus vite qu’elles ne le pensent : les parties connaissent un désaccord pour autre chose, leurs rapports de force se modifient, l’une d’entre-elles n’a plus rien à perdre à sa révélation, le préjudice de sa révélation devient moindre qu’un autre auquel elle est exposée, une des parties ne supporte plus les scrupules, etc. C’est le cas en l’espèce du fait du limogeage de Nelsinho Piquet et de l’immunité sportive accordée pour ses aveux. En bref, la réalité de la vie est que la confiance placée en le respect d’un pacte scélérat est toujours overstated. Outre l’aspect moral, il est donc étonnant que deux chefs d' »entreprise sportive » à ce niveau y aient succombé. Les conséquences sportives et juridiques sont également plus nombreuses qu’il peut y paraître, également au pénal :

– Le sponsor principal Renault et les sponsors de l’écurie subissent un dommage d’image d’avoir été associés à un acte illicite, ainsi qu’un dommage direct si l’écurie ne peut plus concourir et fournir sa prestation. L’acte préjudiciable à l’image du sponsor au sens large est une clause résolutoire usuelle dans les contrats de sponsoring. Ils peuvent résoudre les contrats, répéter tout ou partie de ce qu’ils ont payé et le cas échéant réclamer le dommage supplémentaire dont le dommage d’image lequel, comme le bénéfice d’une campagne de publicité ou d’un exploit sportif, peut-être chiffré.

– Tous les concurrents, tiers et partenaires, c’est-à-dire sponsors, médias payants, dont l’attente d’une compétition non-faussée constitue une prestation contractuelle en leur faveur, dans le cadre de ce Grand Prix et/ou du championnat, subissent un dommage. Ils ont une prétention délictuelle contre l’écurie et/ou ses organes auteurs personnels de l’acte délictueux.

– La sanction sportive, amende, perte de points et des primes et revenus correspondants, exclusion, etc. a des conséquences constituant un dommage économique que subira l’écurie. Elle, ou son actionnaire, pourra le réclamer à MM. Briatore et Symonds et/ou à tout responsable/participant, pour faute contractuelle et délictuelle. Tricher, violer la loi, ne peuvent évidemment jamais être considérés comme conforme à l’intérêt social de l’entreprise.

– Corriger l’acte illicite et ses conséquences au plan sportif est presque impossible à réaliser. Il ne s’agit pas de disqualifier le vainqueur qui est dopé et de remettre la médaille au suivant, ou d’invalider le résultat d’une compétition directe. Alonso ne serait jamais remonté du fond du classement, les leaders n’auraient pas été affectés par l’entrée de la voiture de sécurité, et il n’est pas possible de déterminer l’impact sur le classement à l’issue de l’épreuve et compte tenu des autres aléas de son déroulement. Pourtant, il est un fait que l’acte illicite a faussé le résultat de ce Grand Prix et du championnat.

– Rectifier a posteriori, des mois plus tard, le sort d’une compétition sportive pose de nombreux problèmes pratiques, juridiques et moraux : les vainqueurs ont été désignés, fêtés, couronnés, ils ont exploité leurs titres et résultats auprès de leurs propres sponsors, touché des primes. Y a-t-il des bases légales et réglementaires pour modifier leur classement sans faute de leur part a posteriori ? Quid des conséquences patrimoniales pour celui qui est par hypothèse rétrogradé ou privé de son titre sans sa faute et qui a dépensé ses primes et signé des contrats sur cette qualité avec des tiers ?

– Dernière question, la plus intéressante, Briatore et Symonds, et Piquet, et d’autres, si leurs actes se confirment et sont établis en justice, ont-ils violé la loi pénale ? Tricher est-il pénal ? Probablement pas sur ce seul terme lequel n’est pas juridique – mais d’autres qualifications entrent-elles en ligne de compte ? Contrainte pénale des premiers contre Piquet ? Diffamation de l’avoir accusé de mentir ? Extorsion, chantage, contrainte de la part de Piquet en ayant tenté de monnayer son silence contre son maintien dans son baquet ? Corruption privée – si elle existe dans un ordre juridique applicable aux faits ? Dispositions pénales de lois contre la concurrence déloyale, invocables par les concurrents et même sponsors des concurrents ? Escroquerie au préjudice des spectateurs et des médias payant pour les droits de couverture et retransmission ? Les spectateurs et les médias paient pour avoir accès à un événement/spectacle sportif dont le fait que le résultat ne soit pas truqué est une qualité essentielle, une prestation. Celui qui triche les déçoit au sens juridique du terme et il y a « fraude » à leur préjudice. Il n’est pas exclu non plus de considérer que cette fraude s’étende à ceux pour lesquels la régularité du championnat constitue également l’une des composantes d’une prestation payante et, partant et de même, une qualité essentielle d’un rapport de droit.

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