Avec l’hiver revoilà dans les médias le lot habituel de sottises sur le ski et ses dangers, les avalanches, le droit et les gendarmes sur les pistes – et, bonus, où faire de la poudreuse sans danger ?

Posté le 5 décembre, 2010 dans divers, sport / sportlaw

Avec l’hiver, avant ou à la première avalanche, immanquablement ce même débat simpliste. Les médias participent en premier lieu de ce simplisme. Un accident fait vendre. Stigmatiser la cause et plaindre la victime sont des postures simples. Ainsi celui qui déclenche une avalanche en marge d’un domaine skiable est étiqueté « freerider ». Cette étiquette est délibérée : c’est forcément un idiot épris de sensations bon marché qui s’éclate au mépris du danger qu’il fait courir aux autres. Pire encore, sûrement un citadin. Or cette étiquette ne veut rien dire, n’atteste ni de prudence ni d’imprudence. C’est simplement un skieur, qui sort des pistes, avec tous les degrés possibles de connaissance ou méconnaissance de la montagne, de chance ou de malchance, de prudence ou d’imprudence. Vous le verrez cet hiver comme les précédents : jamais le journaliste ou l’article ne s’intéressera à ce point, pourtant essentiel dans la détermination d’une éventuelle responsabilité.  Quant le drame se déroule en rase montagne, loin des domaines, à peaux de phoques, ce n’est plus le freerider, par définition stupide et inconscient, mais un « randonneur ». Le randonneur n’est jamais stigmatisé dans la presse. C’est un bon suisse aux bras noueux, ou toujours un amoureux de la montagne et de l’effort sain dans la nature. Il est nécessairement prudent et éduqué, et donc malchanceux. Cette vision est manichéenne, mais pas caricaturale. Attendez les premiers articles – et qui a jamais entendu un randonneur inculpé ? Or le randonneur évolue dans un milieu infiniment plus dangereux. Il met davantage en danger ceux qui l’accompagnent – et  les secours. Il peut être aussi imprudent qu’un autre mais, comme le skieur hors-piste, il en a le droit le plus strict. Comme le droit actuel est équipé pour juger de l’accident quand il survient, tant au civil qu’au pénal, mais en tenant compte de toutes les circonstances.

En ski, s’agissant du danger causé aux autres, il y en a essentiellement deux : l’avalanche et la collision. L’avalanche ne nécessite pas de longues explications. Celui qui la déclenche met en danger ceux qui sont plus bas et qui n’y sont pour rien. Sur piste, la collision est aujourd’hui le risque N° 1 pour autrui. Les lois de la physique font que l’énergie d’une masse de 60, 70 ou 80 kilos, lancée à 40, 60 ou 80 km/h, génère une énergie considérable et destructrice en cas de choc (60 kilos à 60 km/h donnent une tonne à l’impact). Or le ski a changé ces quinze dernières années. Les pistes sont ratraquées, la clientèle l’exige, et cela permet à des skieurs même médiocres de skier à des vitesses élevées. Les skis, aujourd’hui tous paraboliques, ou « carvés », font que les trajectoires ne sont plus parallèles dans la ligne de pente – mais se croisent. La neige artificielle est d’une dureté particulière et les chutes et chocs causent des traumatologies proches de celles des deux-roues sur le bitume. Autrefois les bosses, les skis étroits, une neige plus douce et inégale, limitaient la vitesse et ce risque-là. La collision est un risque mortel ou de blessures graves. Particulièrement pour les enfants vu la différence de masse. Si elles peuvent être graves, il y en a pourtant peu en termes statistiques par rapport au nombre de kilomètres/skieurs parcourus. Contrairement aux idées reçues également, plus le nombre de skieurs est élevé, moins il y a de collisions et moins graves sont-elles. Le nombre réduit la vitesse comme… sur la route. Quant au droit, il est équipé pour poursuivre celui a causé un dommage à autrui. Tant le droit pénal que le droit civil ordinaire de la responsabilité. Il ne faut pas tomber dans le travers habituel de vouloir légiférer ou policer la société pour pallier un défaut dans les mentalités, dans la prévention ou dans l’application du droit actuel.

Une « police » des pistes ou la police sur les pistes n’ont donc pas de sens. Les stations n’en veulent pas, ne veulent pas assumer cette tâche, et ce n’est pas leur vocation. Poursuivre celui qui a mis en danger sans causer d’accident serait possible. C’est cependant tout simplement impraticable. Il y a en revanche une marge de progression considérable pour la prévention sur le danger des collisions, et sur le fait que l’auteur d’une collision, comme d’une avalanche, peut devoir en répondre. Même si cela semble juridiquement totalement évident. Ce message-là, s’agissant des collisions, n’est pas diffusé. Le message sur le danger des avalanches, des réflexes de prudence, l’est avec un certain succès. Mais pas celui de la responsabilité qui l’accompagne, pourtant inhérente à toute activité humaine. Bonus dans la ligne de ce qui précède : où le ski de poudreuse est-il finalement le moins dangereux ? Sur un grand domaine moderne tel que celui de Verbier sans doute aucun. Le haut niveau de ski y fait que toute la montagne ou presque est skiée dès que le manteau le permet. Cela crée une adhérence supérieure* entre les couches à chaque chute de neige. Laquelle n’existe pas hors des domaines où les couches se posent simplement les unes sur les autres, avec leur plein effet de glissement selon leur densité, nature et évolution. Les pentes sont minées après les chutes de neige, avec pour effet que ce qui doit descendre descend, ne laissant plus qu’un risque résiduel. L’opérateur attend également un délai de stabilisation de la masse pour ouvrir certaines sections. Tous facteurs confondus, le risque ne décroît jamais à zéro mais tout de même très sensiblement. Et de fait, sur un grand domaine comme Verbier, voué au hors-piste, à la poudreuse, et librement, ouvertement et à juste titre, la responsabilité individuelle de celui qui sort demeure – mais dans des conditions de risque bien moindres qu’en terrain non-skié et non-miné. Il demeurera toujours un certain nombre d’inconscients pour aller essentiellement se mettre eux-mêmes en danger dans des coins extrêmes, mais les statistiques, en termes de kilomètres skieurs, démontrent là également ce qui précède.

* A Silverton, Colorado, petit domaine sans pistes balisées et voué au ski de couloirs et de pentes raides totalement sauvage, la première neige est cassée à pied en descendant (stomping) par les patrouilleurs et locaux (en gagnant des jours gratuits !) pour créer cette adhérence des couches suivantes et diminuer le risque d’avalanche.

une réponse à “ Avec l’hiver revoilà dans les médias le lot habituel de sottises sur le ski et ses dangers, les avalanches, le droit et les gendarmes sur les pistes – et, bonus, où faire de la poudreuse sans danger ? ”

  1. David dit :

    Bonjour,
    En tant qu’ancien modeste « freerider » de Verbier et actuel randonneur, j’ai trouvé cet article intéressant. J’ai tout de même quelques idées divergentes. Je pense en effet que les hors-pistes de Verbier sont plus sécurisés. Le problème vient de la dimension du hors-pistes à Verbier. Pour trouver un espace vierge les skieurs sont obligés de repousser à chaque fois les limites et de fait, ils se rapprochent toujours plus de l’univers plus risqué des randonneurs. Inversement, les terrains de randonnées deviennent de plus en plus comme ceux de Verbier, le passage est tel que leurs stabilités augmentent. Par contre, je pense que le fait d’accèder aux sommets à ski plutôt qu’en cabine permet de mieux observer les conditions du terrain (sauf si l’on a le regard figé sur le chrono!). Bonne saison à tous les freethinkers et freeskiers!

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