Comment tranchent les juges – un sujet ésotérique ?

Posté le 27 janvier, 2015 dans justice

Le mécanisme par lequel un juge prend sa décision est mal connu et surprenamment ignoré des juristes. Peu de recherches sont faites à ce sujet. Peut-être parce qu’il y a là une part de sacré, la réalité, ou la fiction, de l’impartialité, de la justice immanente.  Ou la pure application du syllogisme juridique, mécanisme qui ne présente dès lors pas un grand intérêt en tant que tel. Or, c’est là dans les deux cas une vision réductrice du juge et du processus de décision. Après tout, s’il n’y avait que le syllogisme, un ordinateur pourrait s’en charger. S’il n’y avait que le sacré, ce serait inquiétant. Or la réalité est très différente et la décision judiciaire implique une perception, une compréhension, une appréciation, et plus encore lorsque la loi confère au juge un pouvoir d’appréciation ou une certaine discrétion. Il y a à l’heure actuelle une sorte de fantasme de perfection de la justice par l’avènement de la règle de droit – alors que le droit et la justice restent fondamentalement une science humaine. Une étude évoquée par ce blog avait ainsi mis en exergue des taux d’acquittement différents juste avant ou juste après le déjeuner en matière pénale, ce qui n’était pas rassurant. Un juge américain disait tout le temps oui. Mais tout cela en dit long sur l’absence d’intérêt et de recherches sur l’intimité de la décision judiciaire. Un livre vient ainsi de sortir aux Etats-Unis sous le titre « Blindfolds Off – Judges and How They Decide ».

L’auteur s’attaque à ce sujet presque tabou non par des études statistiques, qui sont pour leur part légitimes et toujours parlantes, mais par une série de treize entretiens avec des juges américains emblématiques. Le fait que ces réflexions soient recueillies par un avocat pratiquant le judiciaire est également intéressant – même si une étude par un non-juriste donnerait sûrement un autre éclairage. Ce livre fait ressortir une certaine candeur, la solitude et l’immense responsabilité qu’assume le juge, nécessitant une force de caractère. Que le processus n’est pas, idéalisé, teinté par, emprunt du parcours de vie personnelle du juge. Il en ressort également tout de même une sorte de double-niveau entre la nécessaire idéalisation de sa fonction et de son fonctionnement par le juge lui-même, et la réalité plus aléatoire des jugements par le biais des éléments qui s’avèrent décisifs. A lire – parce que ces introspections sont étonnamment rares, et toujours utiles pour l’avocat qui est confronté à ce processus quotidiennement.

 

imprimer cet article | Envoyer à un ami | Commentaires fermés sur Comment tranchent les juges – un sujet ésotérique ? | RSS

laisser une réponse