DE L’ART DE POSER DES MAUVAISES QUESTIONS EN JUSTICE

Posté le 8 septembre, 2016 dans avocats / advocacy

S’il y a une chose qui n’a jamais été vraiment enseignée, et qui ne l’est pas comme il le faudrait à l’ECAV, c’est l’interrogatoire en justice : poser des questions aux parties et aux témoins, au pénal et au civil. Avocat et magistrats posent des questions « en lien » avec la cause et les faits, mais ils le font de manière intuitive et le résultat est piètre. Les questions n’ont pas d’objectif précis, lié à un fait précis sélectionné comme pertinent sinon décisif. L’avocat n’apprécie pas les risques et chances d’obtenir une bonne ou mauvaise réponse, ni le dommage d’une mauvaise. Les questions sont mal formulées tant au plan sémantique que syntaxique, c’est-à-dire impropres à provoquer une réponse utile. Sans compter les questions hors-saisine, hors-allégués ou hors-prévention, ni la perte liée à une dictée résumée ou approximative du PV. Nombre de questions sont donc impropres à provoquer une réponse courte et efficace facilement transcrite. Nombre de questions visent, non à établir un fait, mais à vouloir confondre celui qui dépose, lui faire admettre qu’il a tort ou qu’il a menti. Cela est candide sinon idiot. Ce n’est pas le but et ne fonctionne pas. Trop d’avocats et de magistrats ne sont pas assez hands-on, ne connaissent pas suffisamment le dossier ou ne sont suffisamment préparés pour aviser en audience, dans le fil d’une audition, en fonction des réponses. Tenter de coincer celui qui parle en posant une question pour contredire ensuite sa réponse par un document est similairement inopportun : cela allonge et complique, est source d’erreur, de dénégations ou de contradictions. Le résultat est moins concluant ou exploitable. L’interrogatoire vise à établir des faits, pas à obtenir des admissions. La subsomption, c’est le juge qui y procède – sur le meilleur établissement possible des faits.

Le travail de l’avocat est donc, en amont du droit, de réussir à prouver. Mais rares sont ceux qui peuvent énoncer correctement et dans le bon ordre les questions sur la base de documents ou d’écritures en live. Elles doivent avoir été préparées. Le spectacle de plus jeunes se faisant re-toquer leurs mauvaises questions, devant l’associé ou le plus senior qui n’a lui-même plus posé de questions en justice depuis des âges, et s’en est déchargé sur junior même dans des affaires importantes, est assez gai. Même si cela frise la malpractice. La réalité est qu’à une époque à laquelle la preuve documentaire est prépondérante dans nombre de situations de faits, l’interrogatoire n’a plus qu’un rôle secondaire, mais qui peut être décisif. D’où l’art de poser de bonnes questions. Sauf fait déterminé d’importance majeure entraînant un souvenir plus vivace, aucun avocat ou magistrat posant une question sur des faits datant de plus de quelques mois ne peut toutefois honnêtement s’attendre à une réponse fiable – et cela doit être intégré. Lui-même ne saurait répondre par quel compte et à quel moment il a payé la réservation de ses dernières vacances, ou à quelle heure et avec qui il est arrivé au match de hockey deux ans plus tôt. Cela c’est pour les films. Ou alors par déduction ou reconstruction du souvenir à partir de, justement, le plus souvent, des documents. Et cette vérité reconstruite étant souvent loin de la vérité tout court. Les politiciens qui veulent des allongements des délais de prescription n’ont jamais posé ou répondu à des questions en justice : ils sauraient la rapide limite de fiabilité de l’interrogatoire avec l’écoulement du temps. Et partant l’augmentation exponentielle de la marge d’erreur judiciaire. Ce qui est pire que la prescription.

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