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ENTRAPMENT

Le député genevois Eric Stauffer a été condamné pour avoir acheté deux boulettes de cocaïne aux Pâquis, opération filmée et mise en ligne sur le site de son parti, et donc à des fins politiques. Puis acquitté en appel – la Cour d’appel retenant un fait justificatif, le but idéal de la manoeuvre, et qu’il pouvait donc ne pas s’agir d’une infraction selon les conditions de la Loi sur les stupéfiants. Pour le Tribunal pénal fédéral, en appel également, pas d’acquittement en revanche pour le journaliste Joël Boissard de la RTS qui avait voté deux fois électroniquement – pour prouver que cela était possible. Dans les deux cas il y a un intérêt public à l’acte – au travers de la liberté d’informer et d’expression. Mais cela permet-il de commettre une infraction pénale, soit d’adopter un comportement que le législateur a voulu réprimer ? La Cour a tranché dans le cas Stauffer que l’acte n’avait pas pour but de consommer ou commercialiser des stupéfiants. Fallait-il acheter de la cocaïne pour prouver que c’est possible et facile ? Cela semble notoire – mais peu importe. Fallait-il voter deux fois pour prouver que c’est possible ? Plus probablement. Y a-t-il une exigence juridique que la preuve du fait soit rapportée par un acte licite, si cela est possible ? Peut-être sous l’angle de la proportionnalité. Mais dans les deux cas, l’affaire incarne une tension entre des intérêts contradictoires, la liberté d’informer d’une part, de rang constitutionnel, et le respect de la loi pénale, d’autre part. Qui a raison alors ?

Il y a mille situations dans lesquelles prouver un fait nécessiterait de le commettre, et donc de violer la loi. Il n’y a pas, dans toutes, un intérêt public à rapporter cette preuve. Puis, la police, l’Etat n’ont pas le droit d’induire une personne à commettre une infraction qui à défaut n’allait pas la commettre, soit un test essentiellement subjectif, pour ensuite, la preuve étant acquise, la poursuivre. Définition posée en ces termes depuis 1899, l’entrapment est interdit parce qu’inciter à commettre une infraction est illégal en soi, signifiant que l’autorité en commet une pour en prouver une seconde, et qu’il faut donc trouver un motif justificatif pour ne pas poursuivre la première. Et parce que la loi pénale vise à prévenir le crime en amont de le punir. Et parce que de manière générale, il est admis que la provocation d’une infraction par l’Etat viole les principes fondamentaux du droit public, ce que la CourEDH rattache au droit à un procès équitable et aux principes fondamentaux de l’Etat de droit. La Cour a dit de manière constante que l’intérêt public (à la poursuite d’une infraction) ne l’emportait pas sur ces principes. Y a-t-il donc une analogie à tirer avec le fait que l’intérêt public à informer ne justifie pas de commettre une infraction ? Probablement pas car les deux équilibres entre intérêts juridiquement protégés sont différents – mais comparaison intéressante tout de même : pourquoi un journaliste et un politicien pourraient-ils faire licitement ce qu’un policier ne peut pas ?