Interview depuis sa prison : Quand Madoff explique les périls et défauts des marchés – y compris ceux qui valent pour la Suisse

Posté le 9 juin, 2013 dans finance / eco

Bernard Madoff a donné une interview depuis sa prison : les régulateurs sont largement sous-équipés et ne sont finalement qu’un training ground pour leurs inspecteurs, les hedge funds sont un danger, les marchés sont un véritable terrain de chasse pour les escrocs, et les investisseurs individuels en sont les participants les plus mal informés. L’interview portait sur la question de savoir si les marchés étaient honnêtes et équitables. Il détaille les opérations des régulateurs lesquelles, si elles avaient été conduites, toutes simples, l’auraient démasqué bien plus tôt. L’investisseur individuel ne peut régater contre les autres acteurs du marché – banques, hedge funds et traders – alors qu’il en est le participant le moins informé. Il recommande également que les brokers ne soient pas simultanément dépositaires, et souligne le conflit d’intérêt du conseiller lorsqu’il a un intérêt distinct aux conseils qu’il donne. Bref en quelques phrases Madoff évoque les problèmes qui minent également la place bancaire suisse – sur laquelle les juges sont la dernière catégorie de gens à penser que les banquiers sont des gens respectables. Entendez par-là, protègent largement l’industrie en recourant à toutes sortes de fictions sur, précisément, ce que le client sait ou doit se voir imputer. Mais ce qui n’est qu’une posture artificielle car dans la réalité, écoutez Madoff, le client est la partie la moins informée de toutes – et celle qui trinque. L’AGDA a consacré le 29 mai à Genève un séminaire à la protection du client en matière d’investissement. Etonnant à plusieurs points de vue.

Deux très bons exposés sur ce vers quoi la protection du client va tendre, notamment au plan européen et par osmose. Un très bon exposé sur les pinailleries formelles de la jurisprudence – obstacle à la reconnaissance en droit matériel que le client s’est fait tordre. Et deux exposés plusieurs tons en dessous de juristes de banque ayant dressé un panorama confus et hallucinant de ce que la banque devrait savoir de lui pour conseiller adéquatement son client : un catalogue de dizaines de questions ou critères qui sont à des années-lumières de la réalité et ratent complètement la cible. Car la réalité est ailleurs. Seuls les acteurs de l’industrie sont fédérés. Ils édictent de la soft law pour prétendument protéger le client – mais qui visent à les protéger eux. Viseraient-ils à protéger le client que ce ne serait toujours que l’industrie qui édicterait comment il doit l’être – et non les clients eux-mêmes. Le client est un être diffus et polymorphe, et la partie faible à la relation, en termes de moyens et en termes d’information. Exemplatif que l’AGDA n’ait pas invité de représentant des clients, il y en a quand même quelques associations de défense – mais uniquement de l’industrie, avec laquelle tout le monde se gratte le dos. Tout cela est problématique dans la protection concrète des intérêts de clients lésés en justice.

Le demandeur est tout d’abord celui qui doit remonter une pente, introduire, payer les droits de greffe – contre la partie forte au contrat. Il doit ensuite lutter en fait contre des fictions et des obstacles pratiques : il est censé avoir été convenablement informé, censé avoir compris les risques, censé demander et tout vérifier – ce qui revient à lui faire le reproche d’avoir fait confiance à la partie forte et rémunérée. Il est censé avoir compris les risques de marchés, de produits, au travers de textes abscons, rédigés par l’industrie pour se protéger elle et non lui, et que personne ne lit, et d’explications spécifiques lacunaires. Il doit expliquer au juge en quoi il a été mal informé et en quoi le risque économique n’était pas acceptable. Il doit surmonter les difficultés de l’établissement du dommage et de la causalité sur des actifs qui fluctuent. Et celle d’être traité comme un mauvais coucheur qui n’aime pas perdre et reproche in fine à sa banque les aléas des marchés – alors que celle-ci reste rémunérée même quand elle conserve des positions baissières dans la durée. Le problème de fond réside toutefois ici : en matière de mandat, la violation du contrat s’examine selon les critères peu définis du soin et de la diligence, et que la justice ne les apprécie qu’en fonction de standards exprimés par l’industrie ou ses régulateurs. Ce qui conduit en Suisse à une jurisprudence largement injuste et sur-protectrice de l’industrie.

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