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J’irai jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme s’il le faut !!!*#%+!

Combien de fois un avocat n’a-t-il pas entendu une partie ou un confrère s’exclamer ainsi, s’estimant victime d’une injustice de son adversaire, d’une autorité administrative ou d’un jugement. Fort bien. Il en faut des comme ça pour que la Cour, de temps à autre, redresse une situation contraire à la (sacro-sainte) CEDH, la Convention européenne des droits de l’homme. Mais ce n’est pas si simple ni si fréquent – ce que la statistique illustre comme souvent. Passons le fait que la Cour n’est pas une quatrième instance de recours supranationale mais une Cour de nature constitutionnelle instituée par traité et qui ne juge que de la conformité d’un jugement ou d’un acte d’un Etat avec ce traité. Et que le justiciable n’y forme donc pas un recours mais une requête destinée à ce que précisément la Cour examine et constate le cas échéant une telle violation de ce traité. Tout cela est complexe et donc une problématique distincte de l’argumentation ayant été développée devant les tribunaux internes. Les mécanismes de suivi et de redressement de la décision interne ou de ses effets dans le cas d’un jugement favorable de la Cour sont ensuite encore un autre chapitre souvent également complexe et long. Au plan statistique, le Tribunal fédéral liquide environ 7’000 affaires par an (7’424 en 2010 – cf. ce blog [1] et ce blog [2]). Seuls 16,1% des recours ont été admis en 2010 – ce qui laisse un bon nombre de mécontents pouvant avoir l’envie de saisir la Cour.

La Cour, elle, vient de publier une vaste statistique [3] sur sa jurisprudence relative à ses 47 Etats membres comportant des fiches pays [4]. Celles des mauvais élèves, des pays dans lesquels l’Etat de droit souffre, font froid dans le dos comme c’est le cas de la Russie [5] : 1’079 jugements rendus à fin 2010 dont 1’019 constatant une violation, essentiellement sur la base de l’article 6 sur le droit au procès équitable et de l’article 5 sur le droit à la liberté et à la sécurité. En cela la Cour et la Convention sont un facteur de progrès considérable dans la pénétration et l’application uniforme des droits fondamentaux, eux-mêmes facteurs de paix et de paix sociale, en Europe. Des Etats de droit comme la France et l’Allemagne sont pourtant également souvent sanctionnés (respectivement 604 violations sur 815 jugements et 128 sur 193). Ces chiffres relatifs au nombre d’arrêts rendus doivent toutefois encore être mis en lien avec la population d’un Etat et le nombre de requêtes présentées, et sachant que le réflexe de s’adresser en cet ultime ressort à la Cour n’est pas non plus développé de la même manière dans tous. Pour la Russie, 2% d’affaires vont au jugement et 98% des requêtes sont donc irrecevables. C’est 1% pour l’Allemagne et 4% pour la France. Sur la nature des violations constatées, la durée excessive et la violation du procès équitable sont les deux premiers postes pour la France et l’Allemagne, mais dans des proportions très différentes : 51%/39% pour la durée excessive et 34%/10% pour la violation du procès équitable).

Et la Suisse [6] alors ? Bonne élève ? Seuls 3% des requêtes formées amènent à un jugement. Il y a eu à la fin de 2010 un total de 102 jugements impliquant la Suisse dont 71 ont constaté une violation de la Convention. 32% des violations concernent le droit à un procès équitable, 18% le droit à la sphère privée, 17% le droit à la liberté et à la sécurité et 15% la liberté d’expression. En 2010, 366 requêtes ont été formées et attribuées à une formation. 30 ont été communiquées au gouvernement pour détermination. Sur les 316 requêtes terminées, 305 ont été déclarées irrecevables et 11 seulement ont fait l’objet d’un arrêt (pour 4 en 2008 et 7 en 2009). Soit une portion très congrue mais dans ce cas là avec un taux de constatation d’une violation de l’ordre de 70%. La Suisse ne se fait donc tirer les oreilles que grosso modo 3 à 8 fois par année – sur une moyenne de 370 requêtes formées et 6’200 arrêts d’irrecevabilité ou de rejet par le Tribunal fédéral par an. Dernier chiffre pertinent, comme la Cour travaille très lentement, elle a actuellement s’agissant de la Suisse 1’174 requêtes pendantes, soit à peu près trois ans de travail vu une moyenne d’à peu près 370 requêtes formées par an. Et elle met à peu près 3 ans pour trancher. CQFD. Vous voulez toujours aller jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme s’il le faut ?