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La liste Magnitsky – étrange animal juridique et la seule sanction dont les officiels russes visés aient peur ?

L’affaire Magnitsky est difficile à résumer en trois phrases – mais elle illustre l’état mafieux du pouvoir et de l’économie russes. Le fonds de placements Hermitage, l’un des premiers à avoir visé être un acteur étranger actif sur les prometteurs marchés russes, s’est plaint de la corruption et d’irrégularités des autorités russes. Son fondateur, ne jouant pas le jeu, a alors été expulsé en tant que menace pour la sécurité nationale. La société a été accusée de fraude fiscale, puis des criminels de connivence avec la police l’ont perquisitionnée puis expropriée au travers de manoeuvres instrumentalisant la justice russe, pour ensuite extorquer à l’Etat $ 230 millions d’impôts prétendument payés en trop. Rien de tout cela n’est exceptionnel toutefois en Russie hélas – mais l’emprisonnement et la mort en prison, le meurtre in fine, de l’avocat d’Hermitage Serguei Magnitsky. Puis par la suite de plusieurs témoins y compris à l’étranger. Une sorte de purge très partielle eut lieu en Russie suite à l’indignation internationale. Mais ce qui apparemment fait le plus peur à la soixantaine d’officiels russes impliqués n’est pas la justice russe corrompue, mais leur mise à ban par les Etats-Unis par une loi signée le 14 décembre 2012 par le Président Obama – la « liste Magnitsky » leur en interdisant l’entrée et le recours au système bancaire américain, donc au dollar. Cette loi vise la mise à ban nominative d’une soixantaine de personnes « responsables de graves violations des droits de l’homme en Russie ». Et pas des moindres : des officiels du Ministère de l’Intérieur, du FSB, de l’administration fiscale, de la Cour Commerciale, du Ministère Public et de l’administration pénitentiaire. Exceptionnel ? Impérialiste ? Avancée majeure de la lutte pour l’Etat de droit et contre la violation des droits de l’homme ? Ou manoeuvre arbitraire fait du Prince indigne d’un Etat de droit ? Essai de décodage.

Les Etats-Unis ont de tout temps voté des lois visant la mise à ban et des sanctions contre leurs ennemis, qu’il s’agisse d’Etats ou de personnes ou dignitaires nominativement. C’est le cas de Cuba, de la Corée du Nord, de la Birmanie, de l’Irak, la Libye, l’Iran, etc. Souvent critiquées comme exclusivement politiques, ces sanctions ont toutefois comme point commun et dans le collimateur les menaces concrètes résultant pour les Etats-Unis de l’absence d’Etat de droit et de démocratie des Etats concernés. Plus discutables sont l’absence ou les limites des moyens juridiques dont disposent les personnes visées nommément pour contester leur désignation – alors que tel devrait être le cas et un postulat dans, précisément, un Etat de droit. Toujours est-il que la liste Magnitsky représente une démarche assez exceptionnelle, pas tant par sa méthode que par sa cible : mettre à ban des officiels russes nommément visés pour leur participation à des actes non seulement simplement criminels mais constituant en tant que tel un schéma criminel violant institutionnellement les droits de l’homme. Au point que le pouvoir législatif d’un Etat vote cette sanction sous forme de loi – visant les auteurs de crimes commis dans un autre Etat. La liste Magnitsky résulte ainsi de la conjonction de facteurs qui ne sont malheureusement pas exceptionnels isolément mais qui le deviennent ensemble : l’emprisonnement, la torture et la mort d’un avocat, la participation et la complicité de l’appareil étatique, l’impunité, le contexte et l’expropriation criminelle d’un acteur économique auquel l’Etat de droit doit au contraire protection, in fine un système mafieux hors de contrôle.

En quoi dès lors reprocher aux lawmakers américains de s’en émouvoir et de décréter ces personnes indésirables sur leur sol et dans leur système bancaire ? Avec le corollaire – en principe et à vérifier – de pouvoir faire valoir leurs droits en droit américain précisément. L’Etat de droit est un remède contre le crime mais il y a peu de remèdes contre le dysfonctionnement criminel de l’Etat de droit. D’où la nécessité qu’il fonctionne. Critiquer cette démarche [1] est possible en termes politiques et juridiques, et vu qu’il s’agit d’une liste noire. Toujours est-il qu’elle semble fonctionner et que c’est ce qui compte [2] – même au prix de quelque prosélytisme. La corruption en Russie progresse et atteint des niveaux stratosphériques. Cette défaillance de l’Etat de droit n’a pas que des conséquences locales – dont le maintien à un niveau anecdotique des investissements étrangers avec le frein à la prospérité que cela représente. La fuite de capitaux de Russie s’est montée en 2011 à $ 84 milliards – précisément injectés dans la finance et dans l’économie mondiales. C’est une nécessité pour les corrompus, sponsors et bénéficiaires de ce système de pouvoir accéder à la finance occidentale – régie elle par le droit. Si leur seule crainte est ainsi non celle de leur propre justice mais leur mise à ban et que leurs biens mal acquis soient confisqués sur cette base, so be it. Si la liste Magnitsky est susceptible de produire des résultats que le pouvoir et la justice russe ne peuvent atteindre, eh bien très bien alors for the time being.