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LA RESPONSABILITE CONVENTIONNELLE COMME LIMITE AUX OPERATIONS DE SERVICES SECRETS ?

Les prisons secrètes de la CIA en Europe, comme leurs vols secrets, c’est l’après 11 septembre et cela date de plus de quinze ans. Le terrorisme, réel ou prétextuel, avait donné une sorte de carte blanche aux services de renseignement – la fin justifiant les moyens dans une situation qualifiée de guerre. Le droit a d’abord été bafoué dans sa détection, sa prévention et sa répression, puis, par retour de balancier, il a repris une certaine consistance. Ce que des services secrets peuvent ou ne peuvent pas faire pour assurer, prétendument ou réellement, la sécurité collective, a fait l’objet d’un certain débat, principalement par celui relatif aux grandes oreilles. La transparence et l’accountability s’affirmant comme des valeurs fondamentales de la démocratie, ce débat n’est pas à son terme. Les libertés individuelles et les garanties fondamentales de procédure viendront fixer toujours davantage les limites abstraites et particulières du champ d’action des services secrets. L’appareil sécuritaire, et politique, s’en plaindra – mais tel est le sens du vent. Dans ce contexte, la Cour Européenne des Droits de l’Homme vient de rendre un arrêt significatif.

A l’unanimité, elle a en effet condamné la Roumanie [1] pour divers actes commis sur son sol par la CIA. Premier constat : l’imputabilité des violations de la CEDH à la Roumanie, commises sur son sol, n’est pas discutable ni même discutée – même si elles ont été le fait de la CIA. Ceci est juste – mais encore fallait-il ne pas s’y fourvoyer. Ensuite, la Roumanie a, assez honteusement, plaidé l’absence de preuve des violations invoquées. Là aussi. la Cour a réagi sainement en appréciant largement un faisceau d’éléments et reproché à la Roumanie de n’avoir in fine rien fait de sérieux pour établir les faits, ni au plan judiciaire, ni au plan politique. Par les considérations liées à la preuve des faits, la Cour tient la Roumanie responsable de son omission, ou de son incapacité, à empêcher sur son sol, donc sous sa souveraineté, une violation de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains et dégradants). Ceci est fort et remarquable. De là, les violations des articles 5 (droit à la liberté et à la sûreté), 8 (droits au respect de la vie privée et familiale), 6 et 13 (droit à un procès équitable et à recours judiciaire effectif) et 2 (droit à la vie – puisque la Roumanie a permis le transfèrement du requérant à un Etat appliquant la peine de mort), allaient presque de soi.

Cet arrêt a ainsi deux vertus essentielles. Il consacre qu’un Etat membre est responsable des violations de la Convention commises sur son sol par les services secrets d’un autre Etat. C’est de nature à faire réfléchir les Etats qui accueillent de telles actions – bienveillamment dans le cadre de leur coopération sécuritaire et/ou militaire, ou sans le savoir. Et il sanctionne directement un Etat pour des violations de la Convention commises par des services secrets – ce qui n’était pas nécessairement acquis. La Cour va enfin encore au-delà en demandant à la Roumanie de poursuivre les responsables de ces violations, et qu’elle requière des assurances des Etats-Unis que la peine de mort ne sera pas appliquée. Well done la Cour. Et quant à Al Nashiri, détenu depuis 2002, il l’est actuellement toujours à Guantanamo…