Le footballeur ce cheval – et le problème de l’indépendance académique en Suisse (suite)

Posté le 2 juillet, 2014 dans sport / sportlaw

Les années passent et rien ne change : les joueurs de football sont toujours des chevaux qui s’achètent et s’échangent. Le CIES vient de lancer un programme en ligne permettant de calculer la valeur de transfert de joueurs de cinq grands championnats européens. Et de se gargariser de l’algorithme créé à partir d’une base de données qui sous-tend ce programme – ah ces algorithmes qui gouvernement désormais le monde cf. l’article dans l’Hebdo de la semaine dernière – pour donner précisément une valeur marchande au joueur. Au 21ème siècle, l’absence de tout progrès sur le front juridique des transferts et du statut des joueurs devient vraiment alarmante. Réponse fréquente : ils gagnent tant que cela compense bien les éventuelles déficiences juridiques du système. Ou en d’autres termes : pour tant de pognon, on ferme sa gueule, on court après le ballon, et on laisse les clubs nous vendre et nous acheter. Pourtant aucune différence entre le nouveau programme du CIES et ceux d’achat et vente de chevaux. La similitude graphique est même frappante ! Et les chevaux, même s’ils n’ont rien à dire non plus sur leur prix, leur acquéreur et l’endroit où ils atterriront, sont probablement mieux protégés par le droit en ces temps d’anthropomorphisme avancé que les footballeurs. Cela pose tout naturellement s’agissant du CIES une seconde question bien actuelle en ces temps de prévarication du monde académique par les sponsors, lisez e.g. de l’EPFL par Nestlé ou de l’Uni de Zurich par UBS : celle de l’indépendance académique. 

Certes le CIES est libre, et la liberté académique et la liberté tout court le lui permettent, de développer cet algorithme et ce programme. L’étude de phénomènes économétriques, y compris dans le domaine du sport, est intéressante et légitime. Le problème n’est pas là. Le CIES affiche ouvertement son affiliation à la FIFA – et il n’y a donc pas de tromperie sur la marchandise : c’est la voix de Moscou. En revanche, il est également affilié à l’Université de Neuchâtel, et à la ville et au canton. Si nombre d’études et de formations qui s’y tiennent sont utiles ou de qualité, il y a là aussi un problème d’indépendance et de liberté académique dès lors que des instances publiques y sont associées. Jamais le CIES ne critiquera la FIFA ou ne permettra des études (réellement ou solidement) critiques contre la FIFA et son système. De fait, il n’y en a pas. Et sur ce point du statut des joueurs professionnels, le problème est grave, actuel et concret. Il y a une telle dominance, dictature même du système que sa contestation est de fait impossible – sauf à s’en exclure pendant des années de procédures judiciaires, ce qu’aucun sportif ne peut se permettre. Ce serait donc aux autorités d’agir – mais comme même les problèmes de corruption sportive ne les intéressent pas, elles sont à cet égard plus démissionnaires encore. Si le CIES était exclusivement une FIFA Academy, il n’y aurait rien à redire en termes d’indépendance – puisqu’il s’agirait d’un institut apparenté et l’affichant. Associé à l’académie publique, il y a en revanche problème – car il est plus important de stigmatiser les déficiences juridiques du statut des joueurs sous l’angle du droit du travail et de la liberté personnelle, in fine des droits de l’homme, que de mettre en ligne un calculateur de leur valeur marchande.

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