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MADOFF – OÙ EN SOMMES-NOUS POUR LES VICTIMES EUROPEENNES ?

C’est vrai qu’il avait une bonne tête et l’air sérieux. Suffisamment bonne raison pour absoudre des managers de fonds feeder n’ayant rien vérifié malgré de nombreux signaux d’alarme. Comme certains tribunaux l’ont commodément jugé ici ou là. C’était plus facile que de dire de crues responsabilités comportant un facteur subjectif. Mais la messe n’est pas dite dans tous les cas encore pendants : la Bankruptcy Court de New-York vient d’admettre [1] la poursuite d’un procès au motif que la question d’un « aveuglement fautif » d’un de ces managers se pose, défaillance entraînant un clawback plus large. Où cela en est-il donc ? La situation demeure complexe et multi-facettes. Les clients directs de Madoff, essentiellement américains, ont reçu à ce jour, hors d’un éventuel clawback résultant de leurs retraits, un dividende de faillite de 60,1%. Ce qui est remarquable. Les investisseurs européens, tous via des fonds feeder, n’ont en majorité encore rien touché. Le dividende revenant à leur fonds, qui leur reviendra en tenant compte du clawback applicable au fonds, est provisionné. Mais que seuls les fonds ayant trouvé un accord sur le clawback avec le liquidateur ont pu à ce jour distribuer. Et cela peut encore durer si, faute d’accord, le montant contesté du clawback doit être déterminé par jugement. Clawback qui dépend de la bonne ou de la mauvaise foi de chaque manager de fonds, s’il a été, ou non, willfully blind. Mais dividende et distribution il y aura un jour – et étant déjà tranché que, juste ou injuste mais au moins cela est jugé [2], les fonds feeder ne peuvent pas eux-mêmes appliquer de clawback à leurs propres investisseurs pour les retraits effectués.

Les investisseurs européens sont toutefois lésés une deuxième fois : par leurs propres banques qui retiennent leurs avoirs en « garantie » de leur risque de clawback de la part du liquidateur et des fonds pour les rédemptions qu’ils ont effectuées. Une banque représentant son client dans une transaction doit être indemnisée si elle en subit un dommage. Autre est la question d’en être garantie. Pour le Tribunal fédéral, arrêt à cinq juges destiné à publication (4A_81/2016 [3]), l’acte général de nantissement ne couvre pas « l’action révocatoire d’un tiers suite à une fraude ». Comme pour l’ATF 138 III 755 sur les rétrocessions, et de même portée générale, les banques ne le respectent pas spontanément. Elles invoquent le motif spécieux des circonstances particulières, alors qu’elles sont identiques de même que tous les actes de nantissement général. Ce qui viole la garantie d’une activité irréprochable. Leurs autres arguments sont également faux et énoncés pour sauvegarder leurs seuls intérêts – sachant que peu de clients auront le courage et les moyens d’agir en justice. Elles invoquent un risque de clawback de la part des fonds – alors qu’il est jugé qu’il n’y en a pas. Elles ignorent un jugement de principe qui exclut que le liquidateur exerce un clawback secondaire contre un subsequent transferee si le second transfert a eu lieu hors des Etats-Unis, soit hors de la compétence du droit américain des faillites. Motif : ce jugement n’est pas définitif. Elles ignorent la limitation du clawback à deux ans et aux seuls profits fictifs, au motif que le fonds aurait été de mauvaise foi. Faux : le subsequent transferee n’est pas privé de sa propre défense fondée sur sa bonne foi. Et elles sont le subsequent transferee, ce qui revient à réserver… leur propre mauvaise foi ! Elles ignorent que l’addition de ces éléments réduit le risque pratique à néant. Elles ignorent encore que le liquidateur est prescrit à faire valoir un clawback contre un subsequent transferee en Suisse. Pas joli joli. Mais c’est comme ça la banque parfois.

Reste le Madoff Victim Fund [4], institution dépendant du pénal et distincte de la faillite de BMIS, qui devra distribuer quatre milliards de dollars aux victimes au sens pénal. Il arrive au bout de l’examen des productions reçues, infiniment plus qu’escompté mais dont nombre de doublons ou de productions irrecevables. Curieusement, plus de données chiffrées dans la dernière circulaire d’information – car les indemnités allouées seront, pour diverses raisons, très probablement largement supérieures à ce qui avait été contemplé jusqu’ici. A suivre !