Madoff : Un point sur le (fichu) Clawback qui paralyse tout – et l’arrêt du Privy Council du 16 avril 2014

Posté le 6 juin, 2014 dans finance / eco, justice

Dans cet immense laboratoire juridique grandeur nature qu’est l’affaire Madoff – droit pénal, civil, des faillites, des trusts, etc. etc. dans des dizaines de juridictions – il est intéressant d’identifier les points et sujets qui se résolvent ou au contraire qui bloquent. Le Clawback, soit l’action révocatoire au sens large, est l’élément qui paralyse aujourd’hui la situation. Premièrement, tant qu’il n’y a pas droit jugé sur les litiges qui en résultent, il empêche l’indemnisation des victimes ayant investi via des fonds, soit le versement aux fonds du dividende de faillite de BMIS. Le liquidateur de Madoff refuse en effet de leur verser leur part de dividende tant que la justice n’a pas tranché sur l’étendue de ce que les fonds doivent eux-mêmes restituer à la faillite de BMIS au titre de cette action révocatoire. Un arrêt de la Cour d’appel du 2ème Circuit est à rendre qui le dira. S’il confirme la décision de première instance déjà commentée sur ce blog, le Clawback sera limité aux profits fictifs retirés dans les deux ans – sauf démonstration de ce que les retraits ont été faits de mauvaise foi c’est-à-dire sachant qu’il s’agissait d’une fraude (ou ignorant fautivement des éléments l’accréditant). Le droit américain tend donc à récupérer une partie des profits fictifs en mains de ceux qui en ont profité dans les deux dernières années – afin qu’ils reviennent égalitairement à tous les créanciers/victimes. 

Deuxièmement, le Clawback paralyse également la situation de ceux qui ont retiré des fonds de chez Madoff tant que la portée de ce qu’ils devront rendre n’est pas arrêtée. Les banques suisses ayant placé puis retiré des avoirs investis par leurs clients sont assignées ou susceptibles de l’être par le liquidateur de Madoff. Tant que la Messe n’est pas dite, elles leurs bloquent le montant correspondant à l’entier des retraits sur six ans, le maximum théorique tant que la Cour d’appel n’a pas tranché. La totalité des retraits sur six ans ou seulement les profits fictifs sur deux ans, ce n’est évidemment pas la même chose, au grand dam de ces clients qui ne peuvent rien faire d’autre que d’attendre.

Un troisième événement important vient toutefois de résoudre un aspect du Clawback. Les fonds feeder eux-mêmes, en tout cas, ne peuvent pas récupérer au titre de l’enrichissement illégitime les montants retirés par leurs investisseurs. Le Privy Council, la Cour Suprême du Royaume-Uni pour les territoires d’outre-mer, vient de trancher en ce sens relativement au fonds Fairfield Sentry enregistré aux BVI. Il n’y a pas d’enrichissement illégitime dans le chef de celui qui retire des avoirs sur la base d’une prétention contractuelle valable. Il n’y a d’erreur entraînant un enrichissement illégitime que si elle est telle qu’elle supprime le caractère contractuel de la prétention. Or, ceux qui ont retiré des avoirs sans savoir que la valeur d’actifs du fonds était erronée en raison de la fraude de Madoff ont exercé une prétention contractuelle valable sur la base d’une valeur déterminée conformément au contrat – même si en fin du compte elle était fausse. S’il ne pouvait être donné foi à l’établissement de la valeur des parts par le fonds, qu’il pouvait être revenu sans autres sur ces retraits en cas d’erreur, il y aurait une insécurité non-souhaitable des transactions. Ce raisonnement est clair et protège ainsi les transactions. Etonnant toutefois que le Privy Council n’exprime pas un mot, même à titre explicatif, sur la conséquence que des investisseurs conservent ainsi la totalité des profits fictifs qu’ils ont retiré, lesquels sont in fine le produit de ce qui a été volé aux autres. Une solution qui ne possède donc pas le correctif de la solution américaine – mais laquelle se situe en droit des faillites alors que l’arrêt anglais tranche la question sous l’angle de l’enrichissement illégitime. Conséquence : les fonds (anglo-saxons) ne peuvent pas rechercher leurs propres investisseurs. Au moins cela est-il tranché. Cela supprime l’un des motifs pour lesquels les banques suisses exercent un droit de rétention sur les avoirs de leurs clients ayant fait des retraits : elles ne peuvent plus être recherchées par les fonds eux-mêmes.

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