Mieux se défendre contre un commandement de payer abusif : Nécessité et bonne idée de lancer une consultation – mais pour quel réel remède ?

Posté le 21 juin, 2013 dans droit / law

Un avocat suisse se voit poser la question plusieurs fois par an : comment se débarrasser d’un commandement de payer abusif. Réponse : impossible – sauf à intenter une action ordinaire en constatation négative de droit contre le prétendu créancier. Sur le papier, le droit suisse de la poursuite pour dette est cohérent et bien fichu : commandement de payer, opposition, et mainlevée définitive ou provisoire de l’opposition par un juge selon si le créancier détient un jugement ou une reconnaissance de dette. Mainlevée rejetée à défaut. La loi part du principe que le citoyen est sérieux. Il fait adresser un commandement de payer s’il estime disposer d’une créance, même contestée. La poursuite ne peut aller plus loin sans au moins un jugement vérifiant le titre de la poursuite contre celui qui s’oppose. Celui qui fait adresser un commandement de payer abusif s’expose à être actionné en constatation négative et à en devoir payer les frais et dépens. Une poursuite n’est donc pas le signe définitif d’une dette de la personne visée. Et tout est bien. La réalité est très différente. Un commandement de payer est pénalisant pour celui qui le subit dans ses liens avec les tiers, notamment son bailleur ou ses prêteurs. Mais comme faire établir qu’une poursuite est infondée ou chicanière signifie faire constater négativement une absence de créance par un juge, le poursuivi à tort doit introduire une procédure au fond en constatation négative selon l’art. 85a LP – mais dont le Tribunal fédéral a entièrement annihilé le champ en la limitant aux cas où le débiteur n’a pas fait opposition. Le débiteur peut encore intenter une action en constatation négative générique selon l’art. 88 CPC.

Mais cela coûte cher – mettre en oeuvre un avocat, faire une demande en justice qui explique et démontre le contexte, avec la difficulté de la preuve négative de ce que l’on ne doit pas, et payer le tarif ordinaire des droits de greffe. La procédure durera quatre ans s’il y a appel puis TF. Alors que faire adresser le commandement de payer ne coûte qu’une formule à remplir, dix minutes et quelques centaines de francs. Et signifiant que de nombreuses personnes subissent sans réel remède des poursuites infondées ou chicanières. Il y a bien une possibilité pour l’Office des poursuites de constater la nullité d’une poursuite. Cette voie est toutefois étroite : l’Office n’a pas le pouvoir d’examiner le bien-fondé d’une créance. La nullité ne sera donc prononcée que si la créance est exclue et/ou chicanière. Le seul cas connu est celui d’un juge civil genevois à qui un justiciable mécontent de son jugement de divorce avait adressé un commandement de payer de 750’000.- pour « actes illicites, etc. ». L’autorité de surveillance des Offices des poursuites et faillites a constaté la nullité de la poursuite par décision du 22 mai 2002. Comme le justiciable était avocat, il s’est fait tirer les oreilles : blâme de la Commission du Barreau confirmé par le TA genevois le 23 mars 2003. Mais au-delà de l’anecdote et du fait que ce juge a pu bénéficier de cette voie étroite presque jamais employable, le problème demeure et le législateur a raison de lancer donc une consultation. Mais quel remède pourrait-il être efficace dans la cohérence mécanique du système ?

Le rapport propose plusieurs solutions – mais pas les bonnes ou les meilleures. La première serait de faire une exception au droit de consultation du registre de la poursuite par les tiers. Elle serait tranchée par un juge, non sur l’existence de la créance mais sur des critères formels, et rejetée si le débiteur vise à masquer plusieurs poursuites de créanciers distincts. La seconde serait d’obliger le créancier à exposer ses moyens de preuve sur demande possible en tout temps – et non plus dans l’actuel délai de dix jours qu’aucun débiteur n’emploie. La troisième serait de rouvrir le champ temporel de l’action de 85a LP en tout temps. Mais aucune de ces propositions n’est adéquate. La première se heurte au problème de définition de ses critères formels – lesquels seraient légitimes ? Et nécessite une action. La seconde n’aura aucun effet : le créancier produira ce qu’il voudra et il n’y aura pas d’examen du bien-fondé de la créance. La troisième maintient l’obstacle dirimant d’une action au fond et ne fait que réinstaller l’action de 85a LP en parallèle à celle fondée sur 88 CPC. Quant à forcer un créancier à faire lever l’opposition au fond ou en mainlevée, c’est contraire au système de la prescription du droit de fond avec ses modes d’interruption. La seule mesure adéquate serait en réalité une mesure provisionnelle qui déciderait en procédure sommaire si la créance est vraisemblable ou pas – sur le modèle du séquestre. Si elle l’est, alors la poursuite doit être visible pour les tiers. Si elle ne l’est pas, la poursuite reste inscrite mais n’est pas visible, le créancier restant en droit d’ouvrir action. La procédure sommaire est moins chère, moins formelle et plus rapide. La décision est en lien avec le fond du problème, l’existence de la créance, excluant celles qui, chicanières ou abusives, ne seront pas rendues vraisemblables. La notion de vraisemblance est existante, définie et balisée. En cas d’intentement de cette procédure dans les dix jours de l’opposition, la poursuite ne serait pas accessible aux tiers jusqu’à droit jugé. La consultation est ouverte jusqu’au 20 septembre et le LawThinkTankBlog fera valoir cette proposition.

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