Qui décide d’un conflit d’intérêts de l’avocat dans une procédure judiciaire ? Le Tribunal fédéral à reculons et en plein conflit dans son nouvel arrêt 2C.642/2011

Posté le 8 juin, 2012 dans avocats / advocacy

Comme commenté, la question de savoir quelle autorité a la compétence de contraindre un avocat à cesser la représentation d’un client en raison d’un conflit d’intérêts est importante et controversée. Dans deux arrêts de 2010, le TF faisait un pas vers la bonne solution, soit que ce n’est pas le juge saisi de la procédure qui en décide, mais la Commission du Barreau, autorité de surveillance de la profession d’avocat. Elle est à ce titre en charge de l’application de la LLCA, loi dans laquelle se situe l’interdiction du conflit d’intérêts à l’article 12. Dans un arrêt 2C.642/2011, le TF revient sur son approche de l’arrêt ATF 135 II 145. Il suggère que l’interdiction de postuler dans un cas concret ne relève en principe pas du droit disciplinaire mais du contrôle du pouvoir de postuler de l’avocat. Et que du coup, la compétence de l’autorité de surveillance n’est pas nécessairement donnée, avec pour résultat que c’est au juge saisi de la procédure que reviendrait cette compétence. Cet arrêt laisse perplexe.

Il se prononce tout d’abord à nouveau de manière incidente. Deuxièmement, même si le TF utilise le conditionnel, le raisonnement du considérant 2.5.1 apparaît affecté d’un défaut de logique. Lorsque l’avocat est en situation de conflit d’intérêts, le fait que cela affecte sa capacité de postuler est concomitant à celui qu’il n’agit pas en conformité de la norme qui prohibe le conflit d’intérêts, l’article 12 LLCA. S’il peut en découler un empêchement de postuler, il y a également là une situation qui permet à l’autorité de surveillance d’y mettre fin. Ce système est cohérent et constitue à Genève une pratique de longue date, éprouvée et efficace. Troisièmement, il y a contradiction encore puisque la conséquence de cet arrêt est précisément en l’occurrence de restituer une qualité pour recourir à l’encontre d’une… décision de la Commission du barreau !

In fine, la problématique de fond reste la même : pour sanctionner un conflit d’intérêts, même si la conséquence est d’interdire à l’avocat de postuler, il ne faut pas que l’autorité amenée à se prononcer sur cette question soit elle-même dans une situation de conflit d’intérêts. Or, qu’il s’agisse du procureur ou de la direction de la procédure au sens large en matière pénale, ou du juge du siège, ceux-ci sont toujours par définition dans une situation de conflit – puisque portant atteinte par-là au choix de son avocat effectué par une partie à la cause. Priver une partie de son avocat de choix est un acte qui entre par définition en conflit avec l’exercice des droits de partie et de défense. La seule manière d’éviter ce conflit inhérent est que ce soit une autorité tierce qui statue. Cette autorité existe dans tous les cantons : l’autorité de surveillance qui est celle d’application de la norme de fond. La distinction fondée sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une mesure disciplinaire au sens strict selon l’article 17 LLCA n’apparaît pas pertinente et  conduit en tout cas à un résultat dangereux.

Quant au raisonnement inverse consistant à faire entrer cette décision dans l’article 62 CPP, il apparait également douteux – dans la mesure où la capacité de postuler dépend d’une autre loi, la LLCA, pour laquelle il existe précisément une autorité d’application. L’arrêt poursuit dans les contradictions en admettant (au c. 2.5.2) que le client est touché dans ses intérêts légitimes par la décision qui empêche son avocat de choix de le représenter, dès lors qu’il s’agit de la capacité de postuler et non d’une mesure de nature disciplinaire dont seul l’avocat pourrait se plaindre. Or cette distinction crée plus de problèmes qu’elle n’en résout et biaise le débat de fond. Ce sont les deux facettes du même problème mais biaisé par le fait que le TF doit statuer sous l’angle de la qualité pour agir. Vu ces tâtonnements, il faut espérer prochainement un arrêt rendu dans un cas concret qui clarifie définitivement cette situation – mais dans le bon sens et non plus sous l’angle indirect de la qualité pour agir.

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