Revoir tout le système des illisibles et injustes fictions suisses en matière de notification d’actes

Posté le 11 novembre, 2014 dans droit / law

Les problèmes de notifications, c’est comme les cambriolages : chacun en a connu ou connaît quelqu’un qui en a connu. L’arrêt récent du Tribunal fédéral 4A_120/2014 est l’occasion d’y revenir – à celle de la mésaventure subie par un locataire. Selon l’acte, selon des définitions casuistiques et ésotériques pour tout non-juriste, un recommandé que le facteur n’arrive pas à remettre en personne est présumé reçu « dès que le destinataire est en mesure d’en prendre connaissance », soit « en règle générale » le lendemain du dépôt de l’avis de retrait. Cette théorie de la réception dite absolue, fondée sur une fiction, est injuste, obsolète et choquante. Mais les autres en réalité aussi et c’est tout le système qui serait à revoir. Au plan juridique, le justiciable lambda n’est pas en mesure de connaître les catégorisations jésuitiques de la jurisprudence sur quels actes sont réputés notifiés et quand. Recourir à de telles fictions à géométrie variable est injuste s’agissant d’actes de la vie de tous les jours touchant au bail, aux poursuites, à des procédures civiles, pénales, administratives de toutes sortes, pour lesquels le justiciable n’est pas toujours représenté par avocat ou pas au début. Ensuite, les gens vivent seuls ou les deux personnes d’un couple travaillent, les facteurs ne montent plus dans les étages, passent à des heures auxquelles l’essentiel de la population travaille, et les horaires de l’essentiel des bureaux de poste sont très limités. Il est impossible ainsi pour une majorité de la population d’aller ne serait-ce que chercher le pli recommandé le lendemain du dépôt de l’avis postal.

A cela s’ajoute l’imprécision – dommageable – de la perception de la population sur la question de savoir si un pli est réputé reçu le septième jour du délai, en général ou en cas d’absence de retrait, ou le jour du retrait effectif mais dans les sept jours, soit la théorie de la réception relative. Un autre locataire vient de l’apprendre à ses dépens dans l’arrêt 5A_677/2013 : le pli était réputé reçu le septième jour et non celui de la réception effective le… huitième.  La population ignore tout autant la casuistique sur le défaut excusable de retrait de celui qui est absent, selon s’il devait ou non s’attendre à une notification par recommandé et prendre des mesures en ce sens, et la notion différente d’atteint ou non-atteint en procédure. Or de nombreuses personnes sont désormais mobiles et régulièrement absentes plus de sept jours, durée du délai de garde, sans prendre de mesures particulières sans que cela ne leur soit objectivement reprochable. Le Tribunal fédéral pèse dans ses arrêts les intérêts de l’expéditeur et du destinataire en se fondant sur la sphère d’influence du destinataire, et les risques que doivent supporter l’un et l’autre. Mais une fiction est exactement cela, soit une fiction, et le Tribunal fédéral, et largement la doctrine, raisonnent encore comme en des temps révolus. Il est injuste de faire supporter à l’expéditeur, privé ou étatique, la difficulté ou l’incapacité de notifier un acte à un négligent, un romantique ou un réfractaire qui veut bien recevoir ses livraisons par le poste – mais pas un acte désagréable. Mais il l’est tout autant d’appliquer au destinataire un système d’une époque révolue en termes d’organisation sociale, et plus encore assorti de variations illisibles.

Il faudrait ainsi supprimer ou simplifier la multitude de régimes et solutions en la matière. Et supprimer cette primauté de la poste et du recommandé dans la notification d’actes. Là où aujourd’hui la poste n’atteint plus nécessairement la majorité, ou pas dans les délais de la fiction, une majorité reçoit et lit ses emails, ou consulte sa page Facebook ou autres, quotidiennement. Il est préjudiciable dès lors d’imposer aussi à l’expéditeur de devoir passer par la poste et ses aléas – là où le destinataire serait avisé immédiatement électroniquement. Des juges et autorités anglo-saxonnes ont accepté depuis plusieurs années déjà la notification d’actes sur les réseaux sociaux à ceux qui mettent soin à ne pas les recevoir par les voies traditionnelles. Chaque arrêt du TF sur la question ravive donc cette problématique – dont le législateur devrait se saisir. Chacun devrait pouvoir imposer d’être notifié par voie électronique sécurisée – pour ne courir les risques liés au recommandé. Et des cocontractants ou certaines autorités devraient aussi pouvoir compter dessus.

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