
Affaire Lagarde : Pourquoi le Procureur Nadal fait fausse route – et ce sont ses prédécesseurs qui devraient être mis en cause
Certes. Certes ni ce blog ni les journalistes couvrant cette affaire ne connaissent l’intégralité du dossier soumis à la CJR. Certes un ministre peut être instrumentalisé, y compris par son camp. Certes la justice peut être instrumentalisée. Certes une juridiction doit examiner les causes dont elle est saisie, et un procureur doit faire ce qu’il estime être de son devoir. Mais dans ce feuilleton politico-judiciaire, les faits sont les oubliés du débat et eux ne mentent pas : c’est le Crédit Lyonnais qui avait tordu Tapie – et chaque jour qui passait alourdissait l’ardoise. En août 2008 dans le tollé initial pour les mêmes mauvaises raisons, ce blog avait relevé les mérites de cette sentence arbitrale en réalité exemplaire – et stigmatisé le parti pris des médias et des politiques incapables de prendre la mesure de ce simple fait : c’est le Lyonnais qui avait éhontément tordu Tapie. La mise en cause de Mme Lagarde est donc sans mauvais jeu de mots un mauvais combat d’arrière-garde. Et le fait qu’elle ne ressorte pas mise en examen après 22 ou 24 heures d’audition en dit assurément long : s’il y avait des charges elle l’aurait immanquablement été. Ce qui est stupéfiant ainsi est cette incapacité à admettre, et a fortiori que la majorité des journalistes et commentateurs n’ont pas lu la sentence, que cette condamnation au profit non de Tapie lui-même mais de sa liquidation judiciaire et celle de ses sociétés, était inéluctable. Puis, douter de ces arbitres-là, suggérer qu’ils aient été manipulés ou aux ordres, ou « favorables à Tapie », était difficilement crédible. Puis, juridiquement, prétendre que la justice civile ordinaire aurait été « plus favorable » à l’Etat, en réalité le CDR, que l’arbitrage, est une proposition hypothétique et indémontrable.
Ce qui exclut toute causalité. Prétendre ainsi qu’il est une faute d’avoir opté pour un arbitrage est une proposition impossible. Enfin, prétendre qu’il est une faute d’avoir renoncé à faire recours l’est de même – cela nécessiterait de démontrer que le recours aurait été gagnant. A l’inverse, c’est prolonger une procédure perdante et le cours des intérêts qui aurait été une faute. En réalité, Mme Lagarde a fait ce que nombre de dirigeants d’entreprise et de politiques ne savent plus faire, par manque de courage et opportunisme, par démission de leurs propres responsabilités : trancher en faveur de l’intérêt bien senti. Ses « services » voulaient faire recours, ne voulaient pas l’arbitrage ? La belle affaire – ce ne sont pas eux qui paient, mais l’Etat. Facile pour celui qui n’assume aucune conséquence de prolonger les mauvais combats, de ne pas transiger ni mitiger, puis de se retrancher derrière le juge qui a tranché. Est-ce une faute politique de n’avoir pas exigé l’épuisement de toutes les voies de recours, pour pouvoir dire avoir tout tenté ? Certainement pas – vu qu’une fois de plus chaque mois passant alourdissait la dette. Ce sont ainsi tous les prédécesseurs de Mme Lagarde qui devraient être poursuivis : en n’ayant pas le courage politique de dire dès le début qu’il fallait réparer le dommage causé par l’acte illicite commis par le Crédit Lyonnais ce qui était reconnaissable ab initio, ils ont laissé courir treize ans d’intérêts, et in fine créé la créance en tort moral, en se refilant chacun la patate (comme on dit en anglais it’s the next guy’s problem) d’année en année. M. le Procureur de la Cour de Cassation Nadal, ohé, pourquoi ne l’avez-vous pas fait ? Pourriez-vous être vous-même mis en cause pour cela ? Bonne question, non ?