ATF 136 III 296/SJ 2010 p. 465 : In Memoriam – ci-gisent les Us et Coutumes des Barreaux suisses, mais le secret est sauf !

Posté le 29 novembre, 2010 dans avocats / advocacy, droit / law

Le 1er juin 2002, à l’entrée en vigueur de la LLCA, les sentiments étaient partagés. Elle réglait exhaustivement les devoirs professionnels de l’avocat, ne laissait qu’une part congrue au droit cantonal, et le transformait essentiellement en droit d’application. Elle laissait les Ordres cantonaux dans la perplexité, entre la nécessité du progrès et de l’unification, et leur attachement à leurs Us et Coutumes – autrefois leur pré carré. Sa préséance était à la fois formelle et proclamée. Elle ne laissait expressément aux Ordres et à leur ample et séculaire jurisprudence que le reliquat d’éventuellement inspirer la jurisprudence à rendre dans son application. Certains se consolaient en voyant là un effet nécessaire, puisque la LLCA codifiait pour une large partie les règles professionnelles antérieures, soit des Us et Coutumes et des législations cantonales. De fait, il n’y eut pas de révolution et la jurisprudence rendue en application de la LLCA a largement suivi ce qui s’était dit avant. Rares sont les décisions ayant eu à connaître d’un réel conflit entre la LLCA et une déontologie cantonale. C’est le cas cette fois de l’arrêt cité. Lequel plante quelques derniers clous dans le cercueil de la déontologie antérieure (c.3.1 2ème §). Arrêt assassin donc, mais en présence de conclusions audacieuses sinon rocambolesques : une demande à la justice d’un canton de constater qu’une décision de l’Ordre d’un autre canton viole les droits de la personnalité, et une demande d’interdiction de faire à ce dernier. Quid juris ?

Le TF rappelle d’abord la constatation de fait de l’arrêt cantonal que l’audition de l’avocat « empêché » par décision de son Bâtonnier aurait été utile à la cause. Il rappelle ensuite que les règles déontologiques n’ont plus qu’une portée interprétative (c.2) – mais pour la nier plus loin in casu assez rudement (c.3.1 2ème §). Partant de la question d’une atteinte illicite à la personnalité que constituerait une décision du Bâtonnier interdisant à un avocat de témoigner, le TF (ré-)assène tout d’abord que la LLCA règle exhaustivement la question. Il n’y a donc pas de place pour une procédure d’autorisation ou pour un refus de l’Ordre. En clair, l’avocat doit savoir que ce que dit l’OAV ne vaut rien vu la LLCA. Et qu’il est donc libre de suivre ou non ce qui n’est qu’une recommandation. Dès lors, vu cette absence de caractère contraignant, ce que lui ordonne l’OAV ne peut violer les droits de la personnalité du client. CQFD. Dans les faits pourtant, c’est bien cet ordre de l’OAV qui a empêché le témoignage – ce que le TF constate. Cette phrase est curieuse et ce point touchait probablement davantage à la causalité. Le TF passe ensuite à la question suivante dans son esprit, le droit procédural à la preuve. Dans ce cadre, le droit de l’avocat de refuser de témoigner est absolu, même délié de son secret. Il ne peut dès lors y avoir de droit au témoignage de son avocat qui découlerait pour le client de l’art. 28 CC – puisque se heurtant de toute manière au caractère absolu du secret. L’OAV a donc commis une sorte de « délit impossible » de violation des droits de la personnalité du client de l’avocat.

Ok. Pas mal. Cela a l’air assez juste et évacue cette question de causalité – puisque l’OAV ne pouvait en tout état faire cette interdiction à cet avocat. Peu importe donc qu’elle ait pu avoir cet effet. Pour le reste et plus généralement, cet arrêt, même s’il assassine l’Ordre, est heureux dans sa réaffirmation solide du secret de l’avocat. Le TF s’est placé sous l’angle de l’art. 28 CC, qui était celui plaidé, et une voie assurément intéressante. Pas un mot cependant de l’éventuel droit du client au témoignage de son avocat dans le cadre du rapport de mandat – qui est pourtant le cadre premier de la relation entre le client et l’avocat. Cette question se pose et cette discussion eût été intéressante : le client dispose-t-il, dans le cadre du rapport de mandat avec son avocat, d’un droit au témoignage de celui-ci, au titre de prestation de son mandataire ? La réponse est probablement également négative et pour la même raison. Le TF y répond en l’état indirectement au considérant 3.3 : l’avocat ne peut être contraint, même délié, de déposer. Et cela est un fait. L’avocat reste le maître ultime de son secret, même délié par le client et/ou l’autorité compétente, compte tenu de son importance et de celle de la confidence dans notre système de droits fondamentaux. La volonté du client de voir témoigner son avocat peut être viciée ou contrainte, ou contraire à ses intérêts. C’est l’avocat qui en est juge. L’Etat pour sa part, même par l’autorité compétente, ne doit pouvoir se retrouver posséder un droit de contraindre l’avocat à révéler le contenu du secret.  Sur ce coup-là le Bâtonnier (vaudois) est donc mort – mais le secret est sauf.

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