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Avocats demain en Suisse et ailleurs : Quelques pistes et évolutions en matière de prestations de services juridiques

Il vous intrigue de savoir de quoi le futur des avocats sera fait ? Vous avez bien raison – mieux vaut connaître et anticiper les évolutions que les subir. Même si l’avocat suisse pratique prioritairement sous forme de profession libérale, et que cela est adapté à son marché, les tendances et les évolutions des prestations de services juridiques à l’étranger sont toujours intéressantes. Elles sont une source de réflexion et d’inspiration. Certaines correspondent à des marchés typologiquement différents mais d’autres donnent le ton et se retrouveront dans nos pratiques par l’évolution générale qu’elles représentent.

Les grands cabinets anglo-saxons sont de grandes entreprises commerciales, plus même de grosses PME, avec les avantages et les inconvénients qui vont avec. Des revenus en centaines de millions voire milliards, une puissance intellectuelle, de travail et de recherche, une optimisation/standardisation/rentabilisation du conseil dans certaines matières techniques, l’accès à certains clients et marchés de haut niveau, au rang des avantages. Une exposition et vulnérabilité aux cycles économiques, des considérations de gestion de carrières et de ressources humaines, des structures et coûts d’exploitation colossaux et nécessitant du management time et même du cost control management, au rang des inconvénients ou des contraintes. Plusieurs études et articles récents illustrent certaines de ces tendances et évolutions :

 – Alors que beaucoup de cabinets même importants peinent à analyser et comprendre leur rentabilité et ses postes, les points de friction avec la clientèle restent le manque de lisibilité et de prévisibilité des honoraires et la réactivité/compréhension/réponse aux attentes. Cela n’est pas en soi étonnant – ce sont en Suisse également deux aspects sur lesquels la profession est plutôt mauvaise ou en tout cas mal perçue par son marché et la population en général.

 – Il faut dire que le coût des services juridiques fournis par ces Biglaw est devenu tellement élevé, de par l’importance de leurs charges d’exploitation, qu’il devient un vrai problème de charges d’exploitation également pour la clientèle dans ces pays. Il entraîne aussi et à juste titre une remise en question du modèle traditionnel de rémunération horaire. Cette base est toujours mal comprise et mal appréciée, ce qui n’est pas nouveau. Les clients commerciaux travaillant sur des business models concrets axés sur leur valeur ajoutée veulent aussi payer la valeur de la prestation qui leur est livrée – et non le temps qu’il a fallu, sans qu’ils ne puissent en vérifier la justesse, pour la fournir. Diverses formules sont ainsi élaborées, au-delà des forfaits simples, comme le profit sharing sur la valeur ajoutée crée pour le client en cas d’atteinte des objectifs définis avec lui, la mise à disposition chez le client pour des missions déterminées d’avocats salariés du cabinet (Lawyers on Demand – flexibilité du conseil in-house avec les compétences du conseil externe), comme en matière d’audit ou de consulting, ou la standardisation du conseil pour des catégories de prestations qui s’y prêtent, p. ex. les prospectus de produits financiers standardisés ou de la due diligence.

 – Les grands cabinets anglo-saxons sont plus que jamais, en fin d’un mouvement de cycle économique accentué, exposés à son retournement. Au même titre que les activités niches ou cycliques récentes dans la finance, les grands cabinets anglais ou américains licencient en masse dans leurs équipes de corporate finance, de produits structurés/titrisation, de titrisation et fonds immobiliers, ou d’émissions/IPOs. A l’inverse le bankruptcy et le litigation augmentent actuellement leur chiffre, mais dans une mesure inférieure.

 – Certains cabinets outsourcent dans des pays émergents, notamment l’Inde, à la fois des activités administratives mais, désormais, des activités juridiques. Comme les entreprises industrielles ou de services le font et l’ont fait par exemple initialement avec les services comptables et financiers. Ils développent également des banques de données de leur savoir accumulé et modèles (knowledge banking) et des programmes de diffusion et de partage interne de cette connaissance consolidée. Certains offrent même un accès public sur Internet à certaines de leurs ressources au titre d’outil marketing.

– Certains cabinets ont développé des approches concrètes de Proactive Litigation Avoidance, partant de l’idée que l’évitement de procédures en amont ou par transaction est toujours une valeur ajoutée pour le client comme pour le cabinet.       

– Certains cabinets développent ou utilisent de véritables stratégies de sciences humaines [1] pour gérer les carrières des avocats, les rendre plus flexibles, moins monolithiques et plus productives, et pour gérer la relation clientèle, la relation branding/client development [2] et augmenter sa fidélisation (ou sa captivité…). Ils développent des marques non seulement pour leur raison sociale mais pour des produits ou prestations déterminés.

– Certains cabinets s’engagent dans des tâches publiques ou sur des sujets de société civile, pour accroître leur présence et visibilité, par. ex. Clifford Chance premier cabinet à participer au World Economic Forum ou à des révisions législatives en République Tchèque. Cela coûte probablement cher mais produit un retour économiquement mesurable.  

– L’innovation vient des cabinets qui ne sont pas contraints par une rigidité structurelle et par une dépendance trop grande à une productivité exclusivement liée au modèle de facturation horaire. En lien avec cela, le manque de valeur ajoutée de l’avocat réside souvent dans son incapacité à expliquer et communiquer sur les concepts juridiques quand bien même il est capable de traiter la situation concernée.

 – Curieusement, l’autorisation expresse de la multidisciplinarité en Angleterre n’a pas encore ou immédiatement entraîné d’augmentation sensible en la matière ou de conjonction/fusion de services juridiques, financiers et comptables complémentaires – le One stop shop ayant pourtant un sens en termes d’attentes du consommateur. A suivre.