Avocats et secret professionnel : La publicité par les noms des clients – nous y sommes !

Posté le 2 novembre, 2008 dans avocats / advocacy

En Suisse, je me demandais quand cela arriverait mais nous y sommes, des avocats font leur publicité officielle par l’étalage de leur clientèle. Impossible !?! En doutez-vous ? Eh bien sur le site de Bär & Karrer, vous trouverez une page « recent cases » qui vous apprendra que l’Etude a conseillé Novartis dans l’acquisition de 51,7% de Speedel pour 525 millions de CHF, le nom de l’équipe et qu’elle était menée par Me Rolf Watter. Ou que Me Michele Bernasconi a siégé comme arbitre au TAS dans une affaire Schalke 04, Werder Brême et FC Barcelone contre la FIFA. Sur le site de Lenz & Staehlin, vous apprendrez dans la rubrique « selected deals and cases » que cette Etude a assisté Hermès à acquérir un immeuble de prestige à la rue du Rhône. Ou qu’une équipe menée par Jacques Iffland a conseillé le groupe Richemont sur une restructuration. Sur celui de Wenger Plattner, sous « news », vous trouverez l’annonce et la référence de deux arrêts favorables obtenus dans la liquidation de Swissair. Incroyable ? Conforme à la loi ? A la déontologie ? Certains s’étrangleront, d’autres seront ébahis, d’aucuns regretteront les temps passés ou râleront que tout f… le camp. Certains se diront que la vie avance. Ne cherchez rien en tout cas sur ce sujet sur le site internet de la FSA, de l’OdA, de l’OAV ni même de la ZAV, vous n’y trouverez strictement rien.

Ce fait illustre plusieurs réalités : Un marché des services juridiques beaucoup plus éclaté et diversifié qu’il y a vingt ans, la globalisation et le fait que les acteurs du marché s’adaptent à leur environnement et évoluent bien plus rapidement que leurs régulateurs. Pourquoi une Etude « corporate » suisse ne pourrait-elle pas faire état de son track record, de ses activités et de la confiance qui lui est accordée par ses clients institutionnels, là où les Etudes anglaises ou américaines le peuvent dans un marché globalisé ? C’est certes passablement show-off et anglo-saxon, mais répond à un besoin et est une forme de transparence. Elle est favorable au marché lui-même c’est-à-dire au consommateur. D’autres Etudes ne le feront en revanche pas vu la nature de leur clientèle et la typologie de leurs mandats, notamment si leurs clients sont des HNWI. Ces Etudes là vendent et vivent de leur discrétion absolue. D’autres encore font (déjà) leur pub par le monde associatif, caritatif ou politique. D’autres enfin, actives dans les prétoires, s’arrangent depuis longtemps pour que, via les médias, il soit connu qu’elles défendent tel meurtrier ou tiennent la main de tel people. Tout cela est probablement très bien car laissant chaque acteur du marché trouver la communication qui répond à ses besoin.

Toute profession libérale qu’il soit, et sans renier ses règles de dignité et d’humanité et le secret qui demeurent son apanage, l’avocat exerce aujourd’hui une activité de services à caractère économique répondant davantage qu’antan aux lois du marché, d’un marché ouvert. La transparence y a une valeur et le consommateur des droits à l’information. L’avocat doit aujourd’hui communiquer, ou en avoir la faculté – et de nombreuses voies s’offrent à lui là où il n’y en avait que très peu il y a encore vingt ou trente ans. Le seul « risque » à garder à l’esprit et à cadrer est que les autorités, notamment pénales, tentent d’en tirer prétexte pour affaiblir le secret en cas d’enquête. Par exemple soutenir qu’il n’y a plus de secret ou qu’il y a été tacitement renoncé puisque l’Etude communique avoir assisté tel groupe dans telle acquisition qui serait par la suite suspectée d’infraction pénale. En fait, tout cela se situe qu’on le veuille ou non dans une évolution du marché des services juridiques qui touchera également la notion même et les contours du secret. Le secret de l’avocat demeurera et à juste titre une valeur fondamentale dans une société démocratique. La délimitation sera en revanche toujours plus fine et délicate entre ce qui fait partie de l’objet du conseil, de la confidence, et qui devra être sauvegardé, et les aspects publics ou officiels d’un même dossier.  

Mais c’est là une réflexion globale sur l’évolution de la profession, et par conséquent également du secret de l’avocat, dont les régulateurs et ordres cantonaux sont à nouveaux absents (trop occupés à expédier les affaires courantes et à savoir si Me Untel a manqué de respect à Me Tartanpion ou au juge Trucmuche). N’étant pas un fan de l’hyperrégulation et vu les réactions souvent lentes et rétrogrades de nos Ordres, il n’est pas pour me déplaire que les plus imaginatifs d’une profession intelligente mènent le bal sur ces sujets comme ils l’ont fait en matière de SA. L’avantage est que les créatifs mènent le bal, font évoluer la profession et garantissent la compétitivité du secteur. Le downside est que faute pour les associations professionnelles de bien cadrer certaines évolutions, ce soit la jurisprudence qui le fasse et, à défaut de positions claires ou circonstanciées des ordres auxquelles se référer, pas toujours de la manière la plus heureuse. Comme la cacophonie intercantonale actuelle en matière de SA. 

    

 

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