Avoirs Duvalier : Quand le pouvoir exécutif ébranle l’Etat de droit

Posté le 11 février, 2010 dans droit / law

Là où le droit s’efforce d’atteindre une constance, la fameuse sécurité juridique, dans la limite du pouvoir d’appréciation du juge, la politique comporte d’accommoder des situations en fonction à la fois de principes et de doctrines, mais surtout et davantage d’intérêts. Ceux-ci varient à leur tour au gré d’enjeux à la fois connexes et non connexes. L’attitude du gouvernement suisse dans l’affaire Duvalier est problématique et inquiétante sur les deux plans, juridique et politique. Le gouvernement s’en remet pendant des années, et à juste titre, à la justice, aux procédures judiciaires, en l’occurrence d’entraide. Puis lorsque la décision intervient en faveur des recourants, les Duvalier, qui exercent des droits de recours et font valoir des moyens qui leur appartiennent dans un Etat de droit, il applique une première fois le droit d’exception pour la contrer. Il tente ensuite, après déjà plus de vingt ans de procédure, une première parade passant par le recours à la notion d’organisation criminelle et à la confiscation spéciale qui lui est liée, dans une procédure d’entraide ainsi répétée. La séquence et la manoeuvre choquent déjà. Puis à nouveau plusieurs années plus tard, lorsque la décision judiciaire finale sur cette nouvelle procédure lui est à nouveau défavorable, le gouvernement fait à nouveau usage du droit d’exception pour contrer la décision. Tout cela, que le gouvernement contre des décisions de justice pour des motifs politiques, est vraiment  problématique pour l’Etat de droit – et surtout parce que la solution visée est quoi qu’il en soit également vouée à l’échec.

Rendre des avoirs détournés à un ancien dictateur – sur ce dernier coup parce que tout est prescrit – peut être gênant sur un plan moral. Que cela soit éventuellement ennuyeux au plan des intérêts de politique internationale de la Suisse se discute. L’on ne voit pas en revanche pourquoi cela serait plus choquant que de devoir admettre en application du droit qu’une confiscation est prescrite envers un trafiquant de drogue ou un escroc, ou qu’un meurtrier ne peut être jugé car le crime est prescrit. Il y a incohérence à s’en remettre d’abord au droit pour ensuite ne pas s’y plier en faisant appel au droit d’exception parce que le résultat ne convient pas, cela à deux reprises. Il y a incohérence dans le fait que le droit d’exception employé n’a pas pour vocation de contourner les décisions de justice, c’est-à-dire rendues par l’un des trois pouvoirs indépendants, qui ne conviennent pas au gouvernement, le pouvoir exécutif. Il y a incohérence dans le fait que la solution visée est en outre vouée à l’échec. Le Conseil fédéral a déclaré bloquer à nouveau les avoirs – cette fois le temps qu’une loi soit adoptée pour servir de base légale pour les restituer à Haïti. Or une telle loi se heurtera de la même manière à un problème de rétroactivité, à plus forte raison que la mesure, quel que soit son habillage, demeurera une confiscation c’est-à-dire à caractère pénal au sens de la CEDH. Plutôt que d’admettre une situation peut être regrettable mais résultant de l’application du droit et des décisions rendues par la justice, la Suisse est ainsi en réalité en train d’engager sa responsabilité internationale au sens de la CEDH.

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