
Biglaw big bucks big business megafirms & IPO’s : Les USA, la Suisse et ailleurs
De retour des USA où le legal business souffre de la crise, mais dans une moindre mesure que les autres secteurs économiques. Les megafirms suspendent ou reportent une partie des recrutements et attendent de voir, et font la chasse aux collaborateurs et associés peu rentables. Parallèlement souffle depuis quelque temps, notamment sur le net, un vent de fronde des collaborateurs avocats des megafirms contre un modèle économique qui tire pour une large partie sa prospérité, il faut bien le dire, de leur exploitation à raison d’horaires dingues, 60 à 75 heures par semaine en moyenne (en échange de l’honneur insigne de faire partie du top 15% de sa promotion, d’appartenir à une enseigne prestigieuse et la perspective hypothétique ou réelle d’une association au bout de sept-huit ans, mais pour laquelle il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus).
Le chiffre d’affaires de ces megafirms laisse évidemment songeur, toutes en double digit growth en 2007, en centaines de millions de dollars jusqu’à 2,1 milliards pour DLA Piper, et des profits-per-partner entre 1 et 3 millions de dollars par an. Cela malgré une infrastructure et des coûts fixes extrêmement lourds et une vraie structure de société, contrôle des risques, direction des ressources humaines, comptabilité et révision, managing partners et tout le toutim. Ces chiffres ne s’expliquent pas uniquement par un tarif horaire élevé et le nombre de têtes, les coûts d’exploitation l’étant également. Ils doivent être rapportés à de véritables entreprises de centaines d’avocats et staff, couvrant une des économies les plus fortes du monde et de 250 millions de personnes, plus les échanges internationaux de l’économie américaine.
Deux facteurs sont notamment à la base de la prospérité du secteur juridique américain et de ses megafirms. Les entreprises doivent y consacrer une part beaucoup plus importante qu’en Europe au conseil juridique interne et externe, du fait d’une plus grande complexité du droit et de leur cadre juridique, et de risques juridiques et de procès plus importants. Cela constitue une charge d’exploitation qui a donc un impact économique et au plan de la concurrence. Les megafirms y ont également en mains le marché lucratif des IPO’s, des fusions et acquisitions et des capital markets. Ces activités sont grosses consommatrices de services juridiques et, outre les grandes entreprises cotées sur les marchés principaux, les PME de toutes tailles ont aux USA plus qu’ailleurs recours à leur mise en bourse sur des seconds marchés. Cohabitent d’ailleurs avec les megafirms, et jouissant donc du marché des services juridiques, toutes les tailles d’études jusqu’au sole practitioner.
En Suisse, les mises en bourse sont très limitées, les capital markets sont essentiellement en mains des banques et les fusions et acquisitions sont rares également. Les études d’avocats ne sont souvent consultées que sur des points donnés comme la due diligence juridique. Rien que de très normal pour un pays de 8 millions d’habitants – et dans lequel la proportion de PME introduites en bourse est très faible. Le secteur juridique jouit en revanche d’une prospérité directe ou induite résultant du private banking, à Genève particulièrement, mais dans le cadre de services non corporate qui restent sans mesure avec l’activité corporate anglo-saxonne.
A l’heure où les avocats suisses ne sont pas même fixés sur le fait de pouvoir exercer sous forme de SA, d’autres pays consacrent ou envisagent la mise en bourse, c’est-à-dire la détention de sociétés d’avocats par le public, ou par des investisseurs financiers extérieurs. Avec une croissance soutenue, des chiffres d’affaires en centaines de millions et une certaine résistance aux downturns de l’économie, certaines études anglo-saxonnes sont des cash machines dont certains ne voient pas pourquoi elles ne pourraient pas être mises en bourse ou détenues par des investisseurs tiers au même titre que d’autres entreprises de services. Manière pour les animateurs, comme dans toute autre entreprise, de valoriser et cash in leur succès. C’est le cas en Australie et le sera en Angleterre dès 2011. Aux USA, cela est en l’état encore prohibé par les règles de l’ABA, le capital d’une étude ne pouvant être ouvert qu’à ses membres.
L’on peut regretter une approche ultra-capitaliste du service juridique – à mille lieues de notre conception traditionnelle libérale et indépendante du métier d’avocat, et pleurnicher sur cette évolution assassine des valeurs d’antan. Des problèmes et questions sérieuses se posent, au plan de l’indépendance, du secret professionnel. Mais ils peuvent souvent être résolus et ces principes respectés, même au sein de telles entreprises. C’est le cas dans d’autres pays. La réalité est que la palette des services juridiques demandés par le marché est de facto désormais plus vaste qu’auparavant. De telles megafirms sont une réalité économique dans certains marchés – mais en coexistence au sein de cette palette avec d’autres formes plus traditionnelles de pratique du métier.