
Blanchiment en droit américain : Seuls les profits sont concernés et ce sur quoi l’intention doit porter/brève analyse de deux arrêts de la Cour Suprême
En pleine crise financière et maintenant économique, le blanchiment n’est peut-être pas la préoccupation du jour. Sa prévention/répression demeure cependant un sujet important dans le monde financier, compte tenu de leur ratio, des leurs implications en termes de libertés et du fait que la prévention représente une charge d’exploitation importante par les coûts du compliance. Plus trivialement, le blanchiment fut utilisé, en Suisse, en France, lorsqu’il était une infraction pénale nouvelle, comme une incrimination permettant opportunément d’aller à la recherche du crime d’amont suspecté ou supposé, c’est-à-dire lorsqu’il n’y avait que peu ou pas d’indices du crime d’amont pour que ce dernier fasse légitimement l’objet de l’enquête. La répression du blanchiment est légitime et c’est la loi. Etudier des flux de fonds à la recherche du crime préalable supposé lorsqu’il n’en existe pas d’indices, c’était tentant, puissant, commode – mais évidemment problématique en termes de prévention et de légalité de la poursuite. Face à un usage problématique voire déloyal du texte, la jurisprudence a au fil des décisions fixé des contours aux cas dans lesquels des indices de blanchiment peuvent être relativement ténus voire autonomes. Il est intéressant en tout état de suivre les développements importants du droit étranger en la matière. L’argent circule au plan international, le blanchiment s’opère fréquemment par des transferts transnationaux et nombre d’entreprises criminelles nécessitent le retour des produits illicites dans des Etats d’origine – c’est le cas en matière de trafic de drogue.
Aux Etats-Unis également l’incrimination du blanchiment est un outil puissant pour le law enforcement. Il permet aussi parfois de chercher le crime par l’argent. Souvent, en particulier dans le processus de plea bargaining, vu la sévérité de la peine, il sert de levier pour obtenir un guilty plea à des infractions d’amont moins graves en termes de peine-menace mais dont la preuve est ténue – en échange de l’abandon des charges de blanchiment.
La Cour Suprême, dans deux arrêts du 2 juin 2008, a apporté des précisions intéressantes à sa définition. Dans le premier cas, par une décision à l’unanimité des neuf juges, la Cour a estimé que le transport d’argent caché (dans un plancher de voiture) ne consommait pas à lui seul l’infraction. Il appartient à l’accusation de prouver que le transport de l’argent a pour but de dissimuler l’argent et son origine. En revanche, la Cour a jugé que l’accusation n’a pas besoin d’aller jusqu’à démontrer que l’auteur visait à lui conférer une origine licite.
Dans le second, à cinq juges contre quatre et avec deux dissenting opinions publiées, la Cour a jugé qu’en l’état de la loi, le blanchiment ne peut porter que sur le profit du crime – et non son chiffre d’affaires, ses encaissements bruts. Au terme d’une analyse littérale et téléologique du texte, la Cour a estimé le terme « proceeds » équivoque et l’a donc interprété de manière restrictive favorable à l’accusé. Si le crime de base reste punissable pour l’entier du comportement illicite, seuls les profits tombent sous le coup du blanchiment.
Cet arrêt a été accueilli avec une grande déception par le law enforcement. Il pose des problèmes de preuve – comment déterminer que des fonds provenant d’un crime en constituent le produit mais avant « break even » ou le profit ? Comment admettre le principe de « charges » d’exploitation d’une entreprise illicite et les déterminer en l’absence de comptabilité ? Les circonstances du cas posaient la question d’une manière particulière. Il faudra voir comment l’arrêt sera commenté et l’impact qu’il aura sur la poursuite des crimes et délits impliquant des flux financiers ou une manutention de cash sans qu’il ne soit facile ou possible de distinguer les profits des produits bruts. En Suisse, nous n’aurons pour notre part pas ce problème d’interprétation vu le texte clair de l’art. 305bis CP qui vise les valeurs patrimoniales provenant d’un crime.