
Bonus des salariés de l’UBS : Ce qu’il faut vraiment lire dans cette opération au-delà des deux milliards concernés
Le feuilleton (et drame national) de l’UBS, actuellement la problématique des bonus 2008, et les salaires des top managers, restent à la une de l’actualité et étant des sujets largement connexes. Le débat qui fait rage depuis deux semaines sur les 2 milliards de bonus 2008 des employés de l’UBS a souvent été simpliste et très antagoniste. Ce qui peut en être retiré dépasse cependant son enjeu et éclaire bien au-delà sur l’attitude (incorrigible) des milieux financiers dans la crise actuelle. Le feuilleton sur les salaires des top managers, de plus longue haleine, se poursuit, intéressant parce qu’il touche à la fois au droit des sociétés et à la « démocratie actionnariale », à la morale et à l’évolution du capitalisme et de la société. Pourtant, étonnamment, sans jamais que la question essentielle ne soit abordée : un CEO à 20 ou 40 millions est-il nécessaire et/ou meilleur qu’un CEO à 2 ou 4 millions ? Retour en arrière et réflexions sur le premier sujet – et le prochain post sur le second.
Sur les bonus de l’UBS, le public a la perception que sur les 6 milliards apportés par l’Etat, deux sont consacrés, directement, en imputation directe, à des bonus soit des gratifications. Et que cet argent du contribuable va donc directement en gratification des employés de l’UBS. Dans un (nouveau) fiasco complet au plan de la communication, ce qui se passe est un peu différent. La Confédération a apporté 6 milliards au compte d’exploitation, évidemment bien plus ample, d’une banque en difficulté. Ce compte d’exploitation comporte parmi d’autres une charge de part variable du salaire d’employés non dirigeants, en l’occurrence « ramenée » cette année à deux milliards. La banque et les milieux de droite ont bien souligné qu’il s’agissait d’une part variable contractuelle, qu’il ne fallait pas pénaliser les employés des divisions ayant atteint leurs objectifs, et qu’à les pénaliser, ils sont moroses ou partent et affectent donc la capacité de gain de l’entreprise. Et que cette part variable a également « déjà » baissé de 80% par rapport à 2007.
Est-ce admissible pour autant ? La réponse est non. Dans ce débat véritable mais simpliste, il a fallu attendre deux semaines pour apprendre que le salaire moyen concerné est de 10’100.- par mois, près du double du salaire moyen suisse. Cela a évidemment un impact sur le débat compte tenu de l’engagement d’argent public. L’argument que les employés n’ayant pas démérité ne doivent pas pâtir des défaillances des autres est plus sympathique – mais est également mal fondé. Les salariés concernés ont évidemment des charges, des familles, du mérite, mais le vrai problème n’est pas là. Les dirigeants et administrateurs responsables du désastre sont tous encore en poste, ils ont gagné énormément les années lors desquelles ils ont construit les causes du désastre, et il n’y a finalement aucune accountability ni remords ni conséquences tirées, ni d’ailleurs la moindre communication de leur part. L’ensemble de l’entreprise doit donc assumer – et les dirigeants doivent assumer envers tous leurs employés. Ces derniers risquent de partir ? Eh bien qu’ils partent car là n’est pas le problème non plus. L’équilibre des salaires et la vitalité de l’économie sont aussi assurés par la mobilité latérale et les changements d’équipes. Personne n’est irremplaçable et si toute l’entreprise pâtit des erreurs du management, il est également sain que la pression et le mécontentement de la base s’exerce en retour sur le management – et qu’il en tire des conséquences.
Plus importante est donc la lecture plus globale qui peut être tirée de ce nouvel accrochage : il n’y a finalement toujours là qu’une volonté de préserver des privilèges sectoriels, une qualité de gain sectorielle, laquelle avait au surplus atteint des niveaux qui n’étaient pas fondés sur une croissance réelle mais sur l’emballement de la machine créé par le secteur lui-même, et créait en outre un déséquilibre entre secteurs industriels. Cela ne démontre rien donc d’autre qu’alors qu’elle est en cause, l’industrie financière est largement incorrigible et en tout cas inapte à tirer seule les leçons à la fois de la crise, de ces considérations économiques et de sa propre responsabilité – par son leverage insensé s’agissant de l’UBS. C’est également le cas à Wall Street d’ailleurs, j’y reviendrai. En termes plus durs, le monde entier et tous les secteurs d’activités sont dans le jus à cause d’une crise provoquée par le secteur financier, mû par l’obsession du gain mal arbitré au risque, l’industrie financière bénéficie déjà du privilège qu’elle doit être sauvée en raison des risques systémiques qui lui sont associés – et elle ne pense qu’à protéger son propre train de vie. Ce n’est pas bien.
Sur les causes, la messe n’a pas été dite non plus et il faudrait qu’elle le soit. Il est vrai que c’est plus complexe et technique. Les banques en difficulté l’ont essentiellement été pour une raison qui n’est pas discutée, pas explicitée, et qui va finalement échapper au débat général : elles ont spéculé pour compte propre, qui plus est leveragées au-delà de l’entendement, sur la base des dépôts de leur clientèle. Se mettant par leur leverage à la merci de faibles variations de la valeur de marché des actifs sous-jacents sur lesquels elles spéculaient, en réalité un appel de marge du marché lui-même, elles se sont en fait comportées comme des hedge funds, ce qu’elles ne sont pas. C’est-là d’ailleurs que la réflexion de la BNS qu’il faudrait au fond « améliorer les fonds propres en période de beau temps » dénote une mécompréhension du problème et est inadaptée. Il ne sera jamais possible d’améliorer les fonds propres d’une manière qui eût correspondu à la couverture adéquate du leverage pratiqué. Les dépôts de la clientèle des banques « ordinaires », apprend-t-on à l’école de commerce, doivent servir aux opérations de crédit à la clientèle, dans des ratios définis et qui ne sont pas sorciers, certainement pas à être joués pour compte propre avec levier. Même afin de réaliser des produits mirifiques et supérieurs à ceux du retail et du crédit ordinaire. Les autorités de surveillance n’ont, il faut le dire, pas réalisé cette situation ni l’ampleur mathématique des risques associés, et se font d’ailleurs bien petites et silencieuses ces temps. Les banques n’étant à l’inverse pas sorties de leur vocation propre présentent toutefois en 2008 des bilans sains et même des profits opérationnels en ligne avec leur chiffre d’affaires. Conserver une vue globale des causes et des problèmes sera assurément nécessaire pour tirer toutes les leçons de cette crise – mais le chemin n’en est pas pris.