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Bruxelles Dublin Genève: Trois visages aléatoires (et semblables) de la Justice

Mardi 6 octobre 2009 à 9 heures. 11ème Chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Bruxelles. Audience de mise en état et dépôt des conclusions civiles des appelants dans une affaire financière serpent de mer. Le jugement date de mars 2006… Retard car un des juges manque à l’appel. Un autre juge a été trouvé, la Cour peut siéger, l’honneur est sauf. Plus personne ne sait vraiment qui recourt ni contre qui. Les faits datent de 1994 et avant… Un avocat dépose mais sans avoir signifié la veille. Un autre aussi. Rouspétances. Il n’en a pas eu le temps ! Sa déclaration d’appel date pourtant de trois ans et demi et cette audience est fixée depuis cinq mois… Un appel a été logé et il doit bien être purgé. Avec conscience et dignité. L’ambiance est artisanale, bon enfant, humaine. L’ordinateur est très vieux, le greffier note à la main, chacun essaie de s’y retrouver dans ses quelques papiers. Le dossier est ailleurs. Probablement deux mille bons kilos de papier. La réflexion sur le sens de la justice dans le temps et en moyens n’est pas pour aujourd’hui. L’audience est levée et la suite au prochain numéro. La routine, quoi. Le justice est humaine.

Mercredi 7 octobre 2009 à 11 heures. The High Court, Dublin. Commercial Court. Audience de plaidoiries sur incident de suspension dans un des procès civils Madoff. Salle bondée. Solicitors, Barristers, clerks entassés sur des bancs et tables avec des montagnes de papiers. Chaque partie dépose l’entier des écritures, pièces et jurisprudence citée. Chaque avocat a son clerc qui amène le dossier sur un chariot dans des cartons de déménagement frappés du nom de l’Etude. Très stylé. Un Barrister nostalgique a une perruque. Le juge saisi de l’incident a été désigné le jour précédent. Il demande la lecture intégrale des écritures pour se mettre au parfum, à laquelle se colle avec respect le premier plaideur pendant deux heures. Puis la plaidoirie, entrecoupée de discussions avec le juge sur les points et arguments plaidés. L’horaire est strict. 11 heures – 13 heures et 14 heures – 16 heures. Pas une minute de plus. Les avocats se passent des papiers ainsi qu’au juge, se perdent dans les leurs. Il y a tant d’annexes… Un greffier/minutier surveille religieusement le magnétophone qui enregistre l’audience sur cassette pour le transcript verbatim. Echange des cassettes et de greffier.  Le juge écoute, tout le monde écoute. Respect mutuel, ambiance rassurante. La justice est humaine, artisanale et se fera sans nul doute. Jugement à une semaine.

Vendredi 9 octobre 2009 à 9h30. Audience d’instruction pénale à Genève. Pile à l’heure. Emoi du convoqué « en vue d’inculpation » vu l’absence de charges. La juge le rassure d’emblée : elle n’inculpera personne aujourd’hui. Le texte de la convocation doit être standard… Echanges, dictée, échauffements – normaux – entre les uns et les autres. La juge hausse la voix. Une autre loi à laquelle il faut se référer est consultée sur Internet. Merveille de la technologie de l’information. Les personnes entendues s’expriment, la greffière tape, il y a discussion. Cadrée. L’audience se termine sur une suggestion à laquelle personne n’avait songé. Conciliabule, réflexion. Les avocats et leurs clients vont en parler derrière la porte. Puis signature du PV, sur papier bleu, à la main et sur toutes les pages. La suite une autre fois, lorsque une autre juridiction aura statué. Voilà, circulez, c’est tout pour aujourd’hui. La justice est concrète, humaine.

Trois audiences, trois lieux. Trois systèmes, moeurs et cultures juridiques différents. Un point commun et qui est l’essentiel : la justice semble similaire, humaine, artisanale dans sa manutention, intellectuelle dans l’échange et dans son fonctionnement. Elle se réduit toujours et partout, de manière rassurante (?), à la discussion par l’écrit et l’oral du fait et du droit, entre hommes et femmes qui ont le même bagage et se comprennent en principe. Rassurant, fascinant et quotidien.