Or donc cet arrêt (aussi publié au JT 2010 I 604 et RDAF 2011 I 545), rendu au sujet d’une affaire pénale, a confirmé la condamnation d’un avocat saint-gallois à une amende disciplinaire fondée sur l’art. 12 let. a LLCA, pour avoir pris contact avec un témoin et l’avoir interrogé dans son Etude hors procédure. Cet arrêt est déconcertant et malheureux – dans la mesure où, publié, il se veut de principe alors que la solution était probablement largement dépendante du cas d’espèce (le témoin étant apparemment davantage un suspect potentiel). L’art. 12 let. a LLCA pose au titre de ses devoirs professionnels l’interdiction pour l’avocat d’influencer un témoin. Ce principe est universel. Il découle de l’interdiction du faux témoignage qui est un crime contre l’administration de la justice. Et donc pour l’avocat d’y concourir ou d’en prendre le risque – acteur nécessaire d’une procédure judiciaire et auxiliaire de la justice. Cela est évident et notoire même pour le public, et donc a fortiori pour l’avocat. L’arrêt part ainsi de cette prémisse juste, au titre de ces devoirs professionnels, que l’avocat ne doit pas influencer un témoin. Cela constituerait pour lui en sus d’une infraction pénale une violation des devoirs constituant les conditions d’exercice de sa profession. C’est ensuite que cela se gâte.
L’arrêt sous-tend en effet une conception dépassée et très dix-neuvième de la justice (et de la déontologie des avocats). Dans celle-ci, seule la justice, par le tout-puissant juge d’instruction, neutre et instruisant scrupuleusement à charge et à décharge, est à même de recueillir preuves et témoignages dans le respect de la légalité et hors de toute influence indue. Or la réalité a démontré que cette vision relevait du fantasme. Si cette affaire date de 2007, le juge d’instruction a en outre disparu depuis au profit d’un système accusatoire dans lequel les réelles obligations de l’autorité de poursuite en termes d’éléments, preuves et démarches à décharge sont encore à démontrer dans les textes comme en pratique. S’il faut retenir quelque chose de cet arrêt, ce sera donc le principe – clair et qu’il n’est pas critiquable de rappeler – que l’avocat doit s’abstenir d’influencer un témoin. Et les précautions à mettre en œuvre s’il le contacte, lesquelles sont également raisonnables. La condition de l’intérêt du mandant n’est pour sa part pas problématique – c’est le cadre de l’activité même de l’avocat dans tout mandat. Le reste est en revanche discutable au plan des principes et surtout de l’activité concrète et courante de l’avocat.
Il n’est pas juste ni réaliste de soutenir que le simple fait pour l’avocat de contacter un témoin comporte un danger au moins abstrait d’influencer un témoin. Ce risque est strictement abstrait et cette position ne mène nulle part. Ce danger abstrait est précisément écarté par l’obligation de ne pas influencer et par la norme pénale – dont il n’y a pas lieu de craindre abstraitement que l’avocat les violera. Une bonne administration de la justice commande au contraire que l’avocat, dans cette limite claire de ne pas les influencer, veille à citer des témoins dont la déposition sera pertinente, à ne pas faire déplacer et entendre des témoins dont l’audition sera inutile parce que ce qu’ils savent n’a pas pu être vérifié. Y a-t-il une distinction à faire entre le pénal et le civil ? Non au plan du comportement et des obligations de l’avocat. Les principes sont les mêmes. Au plan civil les parties ont l’initiative de citer tout témoin utile quelle que soit la maxime. Au plan pénal il est même aujourd’hui commandé par le système accusatoire que la défense puisse avoir un accès libre et direct aux témoins. Il serait une vision irréaliste de la justice pénale, et distordre le rapport de force entre l’accusation et la défense, de postuler que tous les contacts y compris à décharge avec des témoins doivent intervenir par l’autorité de poursuite seule, laquelle peut au surplus refuser d’y procéder.
Le critère de subsidiarité/nécessité mis en avant par l’arrêt apparait donc critiquable comme les motifs avancés et cela tant dans l’ancien droit que sous l’empire du CPP.