De l’amour immodéré des juges genevois pour la plaidoirie !

Posté le 8 mai, 2008 dans justice

Il est toujours amusant (allez allez, mais si !) d’observer la réaction d’un juge civil genevois, de première instance comme d’appel, à l’annonce d’un avocat souhaitant plaider. Ces réactions sont diverses et variables, dépendent naturellement de la cause, du type de procédure et des plaideurs. Si certains juges sont d’une courtoisie exemplaire et qu’aucun avocat n’est probablement jamais formellement empêché de plaider, les réactions sont assez souvent tout de même de la part de certains un soupir, un lever d’yeux au ciel voire même parfois une réprobation assez lisible ! Disons-le ainsi franchement, globalement, les juges civils genevois n’apprécient pas vraiment les plaidoiries.

Il y a plusieurs ingrédients à cette discussion récurrente – touchant tout de même à l’administration de la justice ! L’avocat tout d’abord, est seul maître de la décision de plaider – et non le juge même s’il s’estime suffisamment renseigné – et l’avocat doit plaider lorsqu’il estime que la cause l’exige. Evidemment, l’avocat doit être bon dans sa détermination qu’il convient de plaider, puis délivrer une bonne plaidoirie, c’est-à-dire une plaidoirie utile pour le juge et donc à la solution du litige.

Paradoxalement, l’avocat ne reçoit dans son cursus de formation littéralement aucune éducation en matière de plaidoirie (une heure en tout et pour tout dispensée par l’OdA !), selon l’ancienne conception – parfaitement dépassée – qu’il apprend sur le tas et en pratiquant pendant son stage sous la houlette bienveillante d’un maître de stage didactique et naturellement brillant plaideur. Et il faut bien admettre qu’à Genève, les plaidoiries de certains stagiaires comme avocats chevronnés sont plus souvent qu’il ne le faudrait au mieux parfaitement inutiles et au pire de véritables punitions. Etonnant dans un canton réputé pour son babillage et ses « grandes gueules », mais pas étonnant dans ces conditions que les juges ne les souhaitent donc généralement pas. Les juges ont également un objectif de rendement, naturellement louable, et chaque plaidoirie inutile y porte atteinte.

Deux conséquences, dommageables pour la qualité de la justice, et une remarque. La première est qu’il n’empêche que l’hostilité réelle ou supposée des juges civils envers la plaidoirie civile entraîne que les avocats y renoncent souvent de ce fait. Ce n’est pas bien. La seconde est que les juges civils se confortent (et les avocats se résignent) à Genève dans un certain dogme que le dossier et les écritures suffisent pour rendre la justice. Comme le dit le juge Suprême américain Antonin Scalia dans son dernier livre Making Your Case, cela est faux et le scepticisme envers ce que la plaidoirie peut apporter à la cause est infirmé par toutes les études sur le sujet. Et dans de nombreux autres lieux, des Etats-Unis à la France en passant même par le canton de Vaud, les juges savent qu’elles sont importantes et comptent sur les plaidoiries pour amener ce que les écritures ne peuvent rendre entièrement, faire la synthèse, restituer un contexte, mettre en exergue le point décisif, bref, sans remonter à Cicéron, simplement convaincre. Autre point crucial mis en avant par Scaglia, même le juge le mieux préparé avant l’audience n’a pas encore définitivement tranché – conférant par là souvent à la plaidoirie l’opportunité d’un effet décisif (auquel j’ajouterai celui d’être ainsi amené à une conviction et d’éviter par-là la délégation du premier diagnostic à son greffier-juriste).

Remarque enfin : la justice est plus que jamais une science humaine au service du justiciable et au service in fine de la paix sociale. De moins en moins une seule « autorité » et de plus en plus une prestation parmi d’autres de l’Etat envers le justiciable, à tort ou à raison, lequel doit pouvoir attendre dans une certaine et meilleure mesure que sa cause soit entendue – et non simplement lue. Le citoyen a le droit, et le juge lui doit, dans certaines limites évidemment, d’avoir ce sentiment d’être tout simplement entendu, qu’il gagne ou qu’il perde constituant ensuite la reddition de la justice. Nombre de parties accepteraient mieux la défaite judiciaire si elles avaient un meilleur sentiment d’avoir été réellement entendues.

une réponse à “ De l’amour immodéré des juges genevois pour la plaidoirie ! ”

  1. Bravo pour cet article. Je partage entièrement ton avis. Pour ton info, le Comité du Jeune Barreau s’est saisi de cette belle question et fera des propositions prochainement. Je te tiendrai informé.

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