
En Allemagne il est libre d’acheter des preuves volées et de les utiliser. Bonne nouvelle pour tout le monde – allons-y tous !
Or donc les autorités allemandes ont perquisitionné le Credit Suisse en Allemagne. Opération d’envergure – puisque dans treize villes simultanément. Sur la base de données volées achetées par les autorités à leur voleur. Eh bien c’est formidable, ce que l’Etat s’estime en droit de faire, tout le monde le pourra donc également. Un prévenu dans une affaire pénale pourra acheter des données non-accessibles de l’instruction à un greffier félon – et s’en servir en défense. Un promoteur pourra acheter des données sur les intentions d’un département des constructions – et les exploiter à son juteux profit en achetant des terrains ou en montant des projets. Encore un exemple parmi d’autres, un justiciable civil pourra acheter à un greffier civil désireux d’arrondir ses fins de mois les notes de délibération ou le rapport d’un jugement à rendre – et prendre un coup d’avance sur son adversaire. Ou une entreprise acheter les fichiers clients de son concurrent ou ses secrets d’affaires, statistiques commerciales, marge bénéficiaire et chiffre d’affaires. Etc. etc. Ces propos sont-ils provocateurs, choquants ? Probablement. Mais la similitude est absolue. Le problème des données bancaires volées est certes plus vaste que les trois exemples ci-dessus puisqu’il touche au sujet sensible de la fraude fiscale. Un sondage a montré cette semaine qu’une majorité d’allemands approuvaient l’utilisation de ces données volées, sûrement la majorité qui paie ses impôts et qui s’agace de ce que certains s’y soustraient – au préjudice de tous. Pourtant, pas davantage en matière fiscale qu’en matière criminelle ou civile la fin ne justifie-t-elle les moyens et que l’Etat commette des actes illicites, même par hypothèse pour faire respecter la loi.
Si un meurtrier a droit à ce que les preuves soient rapportées contre lui dans le respect de la loi, sans que l’Etat n’agisse illicitement, il n’y a pas raison à ce qu’il en aille différemment en matière fiscale. Ce sont donc les fonctionnaires allemands ayant payé ces données volées, ayant pris la décision et procédé aux actes d’exécution, qui devraient être poursuivis. Ce sont ceux qui exploitent ensuite cette preuve acquise de manière clairement et grossièrement illicite. Or il n’y a pas mention de ne serait-ce que de plaintes déposées en ce sens en Allemagne. Les contrevenants allemands sont-ils paralysés d’exercer leurs droits de défense par peur d’une répression déjà brutale renforcée de leurs infractions fiscales ? Ce droit n’existe-t-il pas en Allemagne, Etat de droit pourtant membre de la CEDH ? Les tribunaux allemands sont-ils indûment protecteurs de l’Etat dans ce type de cas ? Toutes ces questions sont sans réponse à teneur de la presse – et troublantes. La Suisse a bien ouvert une procédure pénale, comme dans l’affaire Falciani. Il serait bien, juste, légitime, et certainement pas fantaisiste, qu’elle poursuive nommément les fonctionnaires allemands impliqués dans l’achat puis le recel de ces données volées – et non seulement leur voleur. Le cas échéant par mandat d’arrêt international. Le fera-t-elle ? Des considérations politiques interviennent certainement – mais en principe le MPC et les autorités de poursuite pénale sont indépendants. Quant au Credit Suisse, il ne porte manifestement pas plainte puisqu’il communique laconiquement « collaborer à l’enquête », décision qui lui appartient évidemment en fonction des forces et faiblesses intimes de son dossier en lien avec ces données volées. Restons-en donc jusqu’à nouvel avis au fait qu’en Allemagne, Etat de droit, il est libre d’acheter des preuves volées et de les utiliser. Ou que seul l’Etat a ce privilège. Pauvre, inquiétante et triste conclusion en réalité dans les deux cas.