Le Conseil fédéral a mis en consultation [1] une modification de la loi sur l’assistance administrative fiscale – qui comporte un problème majeur sur une justification qui ne tient pas : dans certains cas le titulaire d’un compte bancaire ne recevra pas de notification de ce que les données de son compte ont été recueillies par les autorités suisses et transmises au fisc de son pays dans le cadre d’une demande d’entraide administrative. Soit sans qu’il le sache ni ne puisse faire valoir ses droits. Le problème est bien compris : la Suisse est avec d’autres Etats sous la pression d’autres Etats et organisations pour ne plus servir de refuge à des fonds échappant à l’impôt. L’objectif politique de satisfaire à de telles demandes – sauf à s’exposer à des sanctions ou désagréments – est également bien compris. Mais s’affranchir pour cela des droits fondamentaux est injustifiable. Le Conseil fédéral justifie cette mesure par le « standard » international qui aurait ainsi été établi par le Forum Mondial sous l’égide du G20. Or ni le G20 ni le Forum Mondial n’ont de légitimité démocratique. Le G20 se situe même problématiquement en marge des véritables organisations internationales. Les ministres des finances de ces Etats poursuivent un objectif affiché et en principe respectable : lutter contre l’évasion fiscale. Mais ils ne se soucient pas du droit et de la compatibilité de leurs idées – mues par des considérations politiques – avec le droit.
Il est injustifiable que le titulaire d’un compte bancaire même suspecté d’évasion fiscale soit privé de ses droits – alors que l’auteur d’un crime pénal ne peut lui-même en être temporairement privé qu’à des conditions restrictives. Le Conseil fédéral minimise cette concession par les risques de rétorsion, le gain de paix sur cette scène fiscale internationale, et le fait qu’elle ne s’appliquera que dans des cas limitatifs – l’urgence, un risque de prescription dans l’Etat demandeur ou un risque que la révélation de l’enquête fiscale porte atteinte à celle-ci. Mais ce sont de mauvaises raisons et critères. Les Etats qui connaissent – c’est leur droit – la faculté d’enquête fiscale secrète sur les comptes bancaires de leurs contribuables comprendront mal qu’il faille examiner ces conditions et qu’une simple demande ne puisse être exécutée. Et s’en plaindront de toutes manières. Cette exigence n’est ensuite tout simplement pas conforme aux droits fondamentaux garantis par la Constitution – qui sont précisément fondamentaux. Que le titulaire du compte doive être notifié et puisse faire valoir ses droits, et notamment plaider que la demande ne doit pas être accueillie, n’est pas inconvénient majeur pour l’enquête à l’étranger. Cela ne porte pas atteinte à sa substance matérielle. Auquel cas ce serait un inconvénient pour toutes les enquêtes, y compris pénales, et la fin du droit d’être entendu et du droit à un recours judiciaire effectif et concret. Tout au plus la question pourrait-elle ressortir à un effet suspensif soumis à conditions.
La Suisse ne doit pas céder par facilité, dépit ou contrainte à des organismes qui visent des objectifs strictement politiques sans égard pour certains principes ou même spécificités du droit – et affaiblir son niveau d’Etat de droit. A l’heure à laquelle l’apport au droit international et aux organisations internationales des « petits » Etats démocratiquement aboutis que sont le Danemark, la Norvège, la Suisse, les Pays-Bas ou autres est important et reconnu, pourquoi la Suisse ne défendrait-elle et ne promouverait-elle pas poliment mais fermement ses valeurs juridiques et démocratiques essentielles ? Dernière anomalie, et pas des moindres, la consultation a pour destinataires outre les cantons et autres autorités toutes sortes d’organisations et associations économiques – mais pas la Fédération Suisse des Avocats. Malheureux oubli ou volonté d’ignorer le lobby des avocats suisses ? Cela est en tout état inadmissible.