
Hommage – obligatoire – au soldat Bradley Manning – et le début de la fin du renseignement ?
Que Assange et Wikileaks rendent hommage à Bradley Manning est naturel : les premiers ne seraient rien, ou bien moins, sans le second, et c’est le second qui risque des années de prison – après le verdict de culpabilité qui vient d’être prononcé contre lui. Mais le second avait besoin des premiers pour que son « œuvre », son geste incroyable, soit suivi de l’effet planétaire que l’on sait – via Wikileaks et la presse. Et image tellement paradoxale de ce militaire jugé dans sa tenue d’apparat dans la tradition militaire américaine, alors qu’il a violé la loi et ses devoirs – mais simultanément accompli un geste historique d’une immense portée dans le fonctionnement de la démocratie – pour lequel il DOIT lui être rendu hommage et être soutenu. Car au-delà du geste vil et illégal consistant à pirater et à fuiter des données secrètes se cache un enjeu bien plus grand et de nature philosophique : une démocratie et Etat de droit a-t-elle droit au secret, le secret de certains pans de l’état est-il souhaitable, la démocratie ne doit-elle pas au contraire être régie par la transparence totale, la transparence serait-elle dommageable à certaines activités étatiques – ou le contraire ? La question s’étend naturellement à la place qu’y occupent le renseignement, les services secrets, avec les écoutes, qui sont pour partie fondés sur la loi et pour partie occultes et en violation d’autres normes du droit. La sécurité est avancée comme Leitmotiv qui serait dogmatiquement incontestable. Or cela est loin d’être vrai ou certain.
C’est donc bien là le début sinon la poursuite d’une réflexion évoquée sur ce blog en 2010 déjà qui peut mener à terme à la suppression de tout le domaine secret de l’Etat y compris en matière de défense, au même titre que l’emprise du droit commun s’étend progressivement aux domaines de la guerre et de la défense. Les européens ont pour le reste tort et mauvaise grâce de s’offusquer de la NSA et ses écoutes. Ils ne le font (mollement) que par posture de politique interne – dès lors qu’ils ont des pratiques similaires et que les américains partagent très largement avec eux les informations recueillies en matière de risques sécuritaires. Le soufflé est déjà retombé – mais Snowden reste coincé à Moscou et les débats sur la transparence et sur la licéité/légitimité des services secrets auront lieu. Comme une sorte de paradoxe, les affaires Snowden et Manning sont survenues dans un Etat de droit. Ces deux personnes, ces deux citoyens, ont dénoncé publiquement ce qu’ils ont considéré comme des dérives liberticides. Ils ont pu le faire, en prenant un risque juridique et judiciaire, parce que c’est précisément un Etat de droit qui garantit leurs droits de défense, leur liberté d’expression, et que ces droits seront surveillés par l’opinion au travers d’une presse libre et indépendante. Le véritable paradoxe est dans la position de Moscou, mi-amusée, mi-embarrassée, mi-intéressée comme monnaie d’échange, envers Snowden – car c’est dans des Etats n’étant pas des Etats de droit et où le débat ne peut avoir librement lieu qu’il faudrait désormais des Snowden, des Manning et des Wikileaks pour dénoncer bien pire.