
Clearstream, Villepin et le Concorde : Un petit tour en France et on revient
Or donc le jugement (de première instance) est tombé dans l’affaire Clearstream. La presse a fait son travail en s’y intéressant largement mais l’écart entre les compte-rendus et le jugement lui-même de 327 pages (!) est saisissant. Plutôt que d’acheter l’un ou l’autre des livres sortis ou à sortir sur cette affaire, autant lire le jugement qui est un vrai roman policier, et surtout complet et scrupuleux. Au-delà du verdict et du droit, au-delà de la qualification requise par le Parquet de complicité par abstention contre Dominique de Villepin, il est éclairant sur plusieurs aspects particuliers et très français de l’affaire : l’intérêt maladif pour des informations à caractère politique, pouvant être exploitées politiquement, l’exploitation et les intérêts propres des médias dans ce type d’affaires, le fonctionnement interne des appareils étatiques, et de leurs officines et filières de renseignements, et la relation interlope qu’a la France avec ce qui est secret, notamment des comptes bancaires réels ou supposés… d’autrui. Ce jugement est éclairant également sur la dimension d’affaire d’Etat qu’a pu prendre, pour ces raisons, une affaire fondée sur des faux évidents et les élucubrations d’affabulateurs bien banals. Villepin est ainsi finalement acquitté parce que sa connaissance de la fausseté des listings ne peut être considérée comme établie. Dont acte. Il n’en demeure pas moins étonnant que tout ce petit monde ait pu croire un seul instant que des particuliers aient pu avoir des comptes secrets auprès de Clearstream, démontrant leur inculture en ce domaine, et que cela n’ait pu être vérifié et infirmé sans en faire tout ce plat. Mais pour sa part la justice française fonctionne en tant que le tribunal, saisi et devant épuiser sa saisine, a instruit et jugé avec soin.
Dans l’affaire de l’accident du Concorde, procès également qui va débuter pour quatre mois. Si chaque accident aérien donne lieu à des prétentions, réparations et souvent des procès civils, les procès pénaux sont plus rares – sauf en France où ils sont habituels. La relation entre le monde de l’aviation civile et la justice pénale est souvent équivoque, l’aviation considérant que le pénal, notamment au niveau de l’enquête puis par la répression, n’est pas adéquat pour élucider les causes d’un accident et faire progresser la sécurité. En l’occurrence les questions que la justice pénale examinera apparaissent néanmoins légitimes puisque des négligences de tiers sont envisageables en lien de causalité avec l’accident. Le point de la présence d’une lame de métal perdue par un avion précédent au décollage, impliquant la responsabilité de l’aéroport et de la compagnie de cet avion, Continental, et sa maintenance, se conçoit. Plus délicate est l’invocation de la responsabilité du fabricant du Concorde, de la compagnie exploitant l’avion, Air France, et des autorités de navigation aérienne dans le fait d’avoir maintenu le certificat de navigabilité et l’opération de l’appareil alors que son exposition à des incidents potentiellement catastrophiques était connue – nommément le problème de la perforation des réservoirs par des débris de pneus en cas d’éclatement. En l’état toutefois seules cinq personnes, dont aucune de l’exploitant Air France ni de l’aéroport, sont renvoyées en jugement. Si l’erreur de maintenance est retenue contre Continental et ses employés concernés, ce sera un cas de figure relativement banal. Plus inhabituel est que la justice pénale ait à dire s’il y a eu négligence du fabricant et des autorités de navigation aérienne dans la fixation de seuils et dans des appréciations directement liés à la sécurité, et si cette négligence constitue le cas échéant une faute pénale. Cela sera intéressant même si cela clora bien tristement la (magnifique) carrière du plus bel et plus extraordinaire avion du monde.