Justice et finance : L’indigente Cour d’Appel du Luxembourg dans l’affaire Madoff

Posté le 12 octobre, 2014 dans divers

La justice a plusieurs visages. De l’ancien visage régalien, dur, rigide, hautain, détenteur de la puissance concession du Prince au peuple, à celui aujourd’hui de service public, de prestation de l’Etat de droit au citoyen-justiciable-contribuable, à qui elle doit diligence et indépendance. Indépendance pour s’abstraire de la connivence naturelle entre ceux qui détiennent le pouvoir, c’est-à-dire avec les puissants et les deux autres pouvoirs. Sans indépendance réelle, la séparation des pouvoirs, et avec elle la Justice, n’est pas réalisée. Diligence car elle lui doit d’être fiable, précise et décemment rapide. Bref, concrète et effective, comme le consacrent les Constitutions modernes et la CEDH, dont participe le principe de célérité. Ces réquisits sont constamment essentiels – y compris en matière financière : les instituts financiers ont la puissance du fait de détenir et d’instrumenter l’argent, et c’est l’exécutif qui les régule et les surveille. Dans cette ligne, la qualité d’une place financière se mesure à sa sécurité juridique, à la réalité de pouvoir y déduire en justice les prétentions qui résultent de la loi ou du contrat. Que dire alors de la Cour d’Appel du Luxembourg qui met quatre ans et deux mois pour rendre un malheureux arrêt dont la ratio decidendi ne fait pas même vingt pages ? Et dans une affaire sur laquelle l’attention est braquée s’agissant des conséquences de Madoff ? Cette indigence, cette défaillance, personnelle des juges Linden, Weyrich et Stirn et collective de l’institution, et du ministère de tutelle, laisse sans voix d’indignation : elle est injustifiable.

Le délai était pourtant irréprochable en première instance : assignation du 5 octobre 2009 pour un jugement du 4 mars 2010. Mais en appel, appel du 28 avril 2010 pour un arrêt du 14 juillet 2014 ! Soit quatre ans et deux mois. Chaque juriste pourra lire l’arrêt : l’examen des moyens et les recherches nécessaires prennent au mieux quelques dizaines d’heures, quelques semaines. A cela s’ajoutent les délais de manutention et d’échanges des déterminations. Quelques mois. Il est ainsi incompréhensible qu’il ait fallu un tel temps pour rendre cet arrêt. Comment l’interpréter alors ? Au mieux, le Luxembourg ne veut pas traiter les affaires qui mettent en cause les établissements financiers, ou n’en est pas capable. Au pire il y a cette connivence, consciente ou inconsciente, pour « planter » ces affaires. Ce blog l’avait déjà dénoncé en mai 2012 – alors que cet arrêt était déjà attendu depuis deux ans : si vous investissez au Luxembourg, ne comptez pas sur son système judiciaire. Deminor de même par une pleine page dans le Financial Times. Il faut ainsi juste le savoir – et que cela tranche avec les déclarations du ministre Frieden immédiatement après la fraude début 2009, selon lesquelles le Luxembourg règlerait les manquements y ayant été commis avec fermeté et rapidité. Les investisseurs peuvent eux aussi voter avec leurs pieds – mais ne le font que rarement. Les banques luxembourgeoises peuvent pour leur part respirer : six ans après la fraude, ceux qui veulent leur imputer des responsabilités dans Madoff sont toujours empêtrés dans la question de savoir qui a qualité pour agir. Et sur le fond, la réponse est également rétrograde et protectrice du système. Bienvenue au Luxembourg.

 

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