
La passivité de l’Union européenne face à la corruption, au déficit démocratique et aux carences d’Etat de droit dans ses nouveaux pays membres – le salut par le droit et la CEDH ?
Les élections européennes sont l’occasion de certains constats récurrents. Les partis les considèrent comme secondaires. Leur détachement n’est tempéré que par la nécessité de ne pas perdre de poids dans leurs rapports de force au plan intérieur. Le parlement européen reste un animal dont les électeurs ignorent ce qu’il fait vraiment et dans quelles matières il légifère. L’Europe est souvent le bouc émissaire de maux de politique intérieure mais, dans ses pays, son apport et ses bienfaits sont tout de même perçus par les gens même si c’est de manière diffuse. Un aspect frappant : l’apport de la construction européenne à la paix et à la stabilité d’un continent pourtant constamment en guerre lors des deux derniers millénaires n’est quasiment jamais évoqué – alors qu’il est essentiel et visionnaire. L’aspect économique et de libre échange est le plus fréquemment mis en avant. Pourtant la construction européenne a participé à sa pacification jusqu’à des frontières encore inimaginables avant la fin de la guerre froide il y a à peine vingt ans. Un autre aspect frappe également : l’UE a produit « son » droit, en matière économique et sociale notamment, mais ne s’est jamais attachée à améliorer l’Etat de droit en tant que tel dans ses pays membres et notamment ses nouveaux membres de l’ancien bloc de l’Est (cf. l’article du Pr. W. Blockmans). Elle considère probablement que l’Etat de droit est un acquis dans les pays fondateurs, à tort ou à raison, et qu’il n’est pas une préoccupation s’agissant des nouveaux membres, certainement à tort. Une corruption endémique, une indépendance limitée du pouvoir judiciaire et un déficit démocratique y sont des problèmes concrets que les seuls apports économiques ne résoudront pas.
L’Etat de droit est en effet une valeur essentielle de progrès, de démocratie, de stabilité et de prospérité. L’absence d’Etat de droit et la corruption minent la confiance du citoyen dans les institutions, biaise la concurrence, pénalise la compétitivité et le moral. Elles sont un terreau pour les organisations et une économie criminelles. Il est regrettable que ce risque n’ait pas été identifié lors de la chute de ces régimes collectivistes et que tout ait été misé sur l’aspect économique, également facteur de paix et de stabilité – mais lorsqu’il repose sur, précisément, un Etat de droit. Il est toujours politiquement difficile de porter un jugement de valeur et de moralité sur le système judiciaire d’un Etat et les magistrats qui le composent. Il est toujours difficile de critiquer le fonctionnement démocratique d’un Etat car c’est souvent faire oeuvre de prosélytisme et abstraction de particularismes ou de mentalités qui sont des réalités. Et il n’est pas possible de ne pas leur accorder le crédit de ce qui fonctionne parce que d’autres pans ne fonctionnent pas. Pourtant cette situation doit être traitée car elle constitue un vrai problème pour l’Union. Un problème de fonctionnement démocratique et de qualité de la représentation de ces Etats en son sein, un problème de dissipation des ressources et subventions, un problème de fertilité pour les activités criminelles. Et parce que le déport de l’Etat de droit est aujourd’hui une déception fondamentale pour le citoyen dans le fonctionnement social de nos démocraties.
Le droit a cependant de formidable qu’il circule et a historiquement toujours circulé avec les hommes. Le village global, la libre circulation des personnes et les réseaux électroniques du 21ème siècle accentuent aujourd’hui un mouvement précédemment bloqué par les régimes autoritaires. L’étude et la digestion du droit, et l’évolution des mentalités, prennent du temps. La qualité de l’Etat de droit, si elle ne se diffuse pas par les autorités communautaires ou politiques des Etats membres, peut également l’être par certains textes et certaines juridictions supranationales. Un exemple est frappant à cet égard : le quart des recours devant la Cour européenne des Droits de l’Homme émanent de la Fédération de Russie (cf. Le Temps du 2 mai 2009). C’est révélateur du déficit démocratique, législatif et judiciaire dans cet Etat, et simultanément de la soif de justice de ses citoyens et de ce qu’ils ont identifié la CEDH comme un remède qui leur est ouvert. Ce sera à terme un facteur nécessaire de progrès en la matière.
Un autre problème est lié à l’adhésion de ces « nouveaux » Etats n’ayant pas connu le même cursus historique au plan de leur droit constitutionnel interne et des droits fondamentaux. La qualité de leurs juges et leur imprégnation par ces principes est paraît-il sujette à caution. C’est regrettable à court terme mais l’accès des citoyens de ces pays à des instances comme la CourEDH par exemple représente un intérêt supérieur. L’osmose se fera dans le sens du renforcement des valeurs fondamentales plutôt que l’inverse, et sur leurs magistrats également. Cet apport de la CourEDH et d’autres institutions judiciaires à la construction européenne au sens large passera probablement relativement inaperçu – mais il sera considérable.
Maître,
Entièrement d’accord avec vous sur la politique de l’UE et l’apport du droit. Cela étant, je ne suis pas si sûr que l’apport de la CEDH marque le droit interne des Etats. Il n’y a qu’à voir en Suisse les cas où le TF refuse parfois la révision de son jugement, malgré le respect des formes et un jugement sans ambiguïté (exemple l’exhumation en vue de connaître ses origines).
C’est un symbole évident que de voir un recours admis par la CourEDH et je pense que c’est cela que vous souhaitez démontrer. Mais si même les pays les plus respectueux de l’Etat de droit se refusent à respecter l’opinion de la Cour, cela ne donne pas le meilleur signal aux autres.
DH