
La Suisse chantre des Droits de l’Homme ? – Eh bien commençons déjà par les respecter et même envers les « listes noires de l’ONU »
Les 60 ans de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, la lutte pour la poursuite de leur diffusion, pour leur application effective, contre leur affaiblissement par essoufflement ou relativisation, pour la réaffirmation de leur universalité. La lutte pour que l’Occident ne les brandisse plus sans les respecter, ne vise plus à les imposer aux pays du Sud en les malmenant lui-même. Et parmi les Droits de l’Homme celui qui tient particulièrement à cœur aux avocats, l’accès matériel et concret à la Justice, à une justice libre impartiale et indépendante. C’est un droit fondamental, consacré par le « célèbre » article 6 de la CEDH, qui n’est pas moindre que les autres. Il n’y a pas de hiérarchie des Droits de l’Homme. Les garanties fondamentales de procédure sont un des fondements de la vie sociale pacifique, du développement et de l’accomplissement individuels, de l’Etat de droit et de la démocratie. Et donc de la légalité, de l’égalité et de la liberté. Leur violation constitue une déception fondamentale des attentes sociétales de l’homme moderne. Et la Suisse ?
La Suisse, dans tout cela, se veut et est vantée comme le chantre des Droits de l’Homme, à défaut d’en être le berceau. Le monde manifeste son respect mais aussi ses attentes envers elle. Et pas un jour depuis dix-huit mois sans que la Suisse, le Conseil fédéral, Mme Calmy-Rey, ne brandissent ce combat et ces valeurs, et s’en gargarisent en même temps, prônant même tout récemment la création d’une Cour mondiale des Droits de l’Homme. Tout cela est fort bien mais ne manque d’énerver et de décevoir lorsque la Suisse est simultanément schizophrène et viole les Droits de l’Homme pour des raisons injustifiables et de purs intérêts politiques. Ce n’est pas bien. C’est faux. C’est indéfendable et le jour viendra nécessairement où il en résultera pour elle un major embarrassment devant la… Cour Européenne de Droits de l’Homme.
Dans l’affaire des listes noires de l’ONU, la Suisse, par ses autorités fédérales puis judiciaires, a par trois fois (ATF Nada 133 II 450; arrêts 2A.783 à 785/2006; arrêt 1A.48/2007) cautionné un système dit de sanctions nominatives ciblées qui se situe hors du droit et est juridiquement et philosophiquement indéfendable. La violation du droit d’accès matériel et concret à la justice, ressortissant à la fois des droits fondamentaux du droit constitutionnel suisse et de la CEDH, est claire et admise – la Confédération s’étant en outre lâchement dédite de promesses antérieures que ces garanties seraient consacrées. Le motif de cette violation, laquelle lui serait imposée ? La hiérarchie des traités instituée par la Charte de l’ONU, qui fait que ses décisions priment sur le droit interne et sur tout autre instrument international, y compris la CEDH. Cette interprétation ne visant à rien moins que faire plaisir à l’ONU et aux Etats-Unis, est fausse et insoutenable. Elle constitue également une erreur politique.
Elle est fausse parce que violer les Droits de l’Homme, qu’ils soient constitutionnels ou prévus par un traité comme la CEDH, n’est pas le sens de la hiérarchie instituée par la Charte de l’ONU. Cette hiérarchie ne peut avoir pour objectif ni pour effet de violer des droits qui sont simultanément un pilier fondateur et essentiel de l’ONU elle-même. C’est également faux dans la logique et dans le système internes de l’ONU dès lors que l’ONU elle-même demande aux Etats membres de respecter les Droits de l’Homme, de manière générale et dans la mise en œuvre de ses résolutions. C’est enfin faux car la Suisse aura violé là la CEDH de manière autonome ce dont il est pour les mêmes raisons insoutenable de prétendre que l’ONU le commandait.
Dans une perspective historique, c’est une décision qui est mauvaise car une occasion manquée de faire la part plus belle aux actes qu’aux déclarations. La Suisse, dont je soutiens fermement qu’elle ne s’exposait à aucune sanction à « faire juste », s’est mise en porte-à-faux du Parlement européen lequel, sur rapport suisse de M. Marty d’ailleurs, étant le seul organe démocratique à s’être prononcé, a condamné ce système. C’est une mauvaise décision parce que le vent va clairement dans le sens contraire de la position prise par la Suisse in casu. La Cour de Justice des Communautés vient de le dire en appel en statuant que les régimes de sanctions ne peuvent pas s’appliquer sur le territoire de la Communauté s’ils violent les garanties fondamentales de procédure – le respect des Droits de l’Homme étant obligatoire sur son territoire point barre. La Cour Européenne des Droits de l’Homme, dédiée elle à leur protection, ne pourra faire moins que la « généraliste » CJCE – et condamnera la Suisse. C’est là une chronique très suisse du petit bras, de la frilosité, du manque de vision, du manque de courage, du « faites ce que je dis pas ce que je fais » et donc d’un embarrassment annoncé.
Bonjour Monsieur.
Etudiante en master 2 à la faculté de droit de Strasbourg, je m’intéresse de très près à cette affaire.
Mais j’ai quelques interrogations en suspens. Ne pensez pas que la Cour de Strasbourg rejettera tout simplement l’affaire en refusant l’équivalence de protection des droits de l’homme ( bosphorus) et en faisant primer le droit de l’ONU sur celui découlant de la Convention?
Est -il possible, comme avait tenté de le faire le tribunal de première instance de l’Union européenne, d’invoquer le Jus cogens pour sanctionner l’exécution d’une résolution du Conseil de sécurité en contradiction avec ce droit international supérieur?
je n’arrive pas à comprendre quel pourra être le raisonnement de la Cour et j’ai bien peur qu’il ne soit pas à l’avantage du requérant…
bonnes fêtes de fin d’année.
A
Merci et pour votre intérêt – et ce risque existe puisque c’est la solution suivie par le Tribunal fédéral suisse. La situation a toutefois passablement évolué depuis ce post en 2008, notamment et significativement avec les jugements et arrêt Kadi. Je ne suis donc pas aussi pessimiste. Une solution par le jus cogens ne nous semble résolument pas juste. Il y a deux axes, en très résumé. Le premier est que la CourEDH, dédiée aux droits de l’homme, ne peut pas aller moins loin sur ce sujet que les juridictions « généralistes » que sont le Tribunal et la CJCE. Ensuite, le problème n’est pas tant de prendre l’art. 103 de la Charte aveuglément -contre la CEDH. Il n’a pas vocation à paralyser les droits de l’homme alors que la Charte les postule et que sur le point litigieux, le Pacte ONU II la même teneur que la CEDH. Cela serait hypocrite, faux et schizophrène. Il restera toujours ici ce problème fondamental : l’ONU ne peut imposer aux Etats membres d’appliquer des sanctions qui violent tant la CEDH que ses propres textes et principes dont le Pacte, et alors qu’elle a toujours proclamé que la mise en œuvre des sanctions devait respecter les droits de l’homme.
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