
L’absence de rapport au futur des Constitutions et mêmes nouvelles Constitutions – Constitution 3.0 Freedom and Technological Change
Une Constitution est un animal juridique passionnant. Souvent un texte ancien qui régit les institutions et droits les plus importants d’un Etat dans le présent – obligeant les juridictions constitutionnelles à projeter son texte et son essence dans la durée parfois très loin des connaissances et des conceptions des Pères fondateurs, du temps où elle a été adoptée. Une Constitution est une cristallisation et une hiérarchisation d’acquis, ce qui la fait nécessairement naître et s’ancrer dans le passé – mais devant pourtant régir l’avenir. La nouvelle Constitution genevoise en est très exemplative : nombre de droits ont été adaptés à l’évolution de certaines institutions, de certains concepts sociétaux ou de droits fondamentaux. Les articles 19, 20 et 21 e.g. sur l’environnement sain, la liberté personnelle et la sphère privée sont des professions de foi fermes, claires, mais presque bateau, juste redites – mais sans véritable projection dans le futur ni prise en compte des évolutions technologiques. Rien par exemple sur un droit à l’accès aux réseaux et à la technologie de l’information – sans lesquels, même si d’aucuns le regrettent, une personne est aujourd’hui discriminée. C’est probablement le rôle d’une norme suprême, et aux juridictions, de faire en sorte que la réalité respecte ensuite ses principes. Mais le futur, le vrai, en est absent. Rétorquement immédiat : la futorologie est une science imprécise, le présent est assez difficile à régir comme ça – et impossible de véritablement « futurer » dans la Constitution ! Pourtant des principes fondamentaux comme la sphère privée ou la liberté d’expression sont mis sous le stress intense et parfois incontrable des nouvelles technologies – comme les sciences du vivant ou les technologies de l’information. A quoi bon ainsi une norme suprême qui ne peut s’imposer ni survivre aux évolutions technologiques même déjà en cours ?
A cet exercice d’analyse s’est livré un panel de juristes éminents dans le passionnant livre Constitution 3.0 – Freedom and Technological Change. Comment l’avènement des neurosciences cognitives peut-il affecter les principes fondamentaux en matière sanctionnelle, de liberté personnelle et de responsabilité ? Un moteur de recherche, parce qu’il filtre, est-il une forme de censure – le cas échéant prohibée ? Ai-je des droits constitutionnels à apparaître plus haut dans les résultats de Google ou suis-je discriminé selon les critères du moteur qui me font apparaître plus bas ? Comment assurer le respect des normes de protection des données et de la sphère personnelle dans un monde globalisé dans lequel une information diffusée n’est plus supprimable concrètement ? Le savoir et l’art doivent-ils être partagés universellement et gratuitement ? Comment maintenir certains principes sur l’intégrité personnelle, la personnalité, le genre ou l’ascendance/descendance/filiation face à certaines manipulations génétiques ou de la procréation ? Que penser d’un monstre comme Google qui est aujourd’hui le gérant monopolistique privé de l’accès à toute l’information, la science, les nouvelles, le savoir, qui sert de bottin de téléphone et de répertoire universel images à l’appui de presque chaque citoyen d’un pays développé qu’il le veuille ou non ? Ce livre, par une série d’essais, examine le rapport de l’impact de ces technologies qui participent du fonctionnement de nos sociétés à la Constitution américaine – soit à des principes et à une profession de liberté et d’autonomie vieux de deux siècles. Et que des Constitutions modernes n’intègrent pas davantage. Passionnant parce que juridiquement expérimental et sans réponses toutes faites. Et inquiétant par le retard qu’accuse le droit sur des changements technologiques qui se sont imposés d’eux-mêmes et, selon, concrétisent ou annihilent certains principes constitutionnels.