
L’arrêt du Tribunal fédéral 137 IV 79 : l’avancée vers la confiscation des profits indirects de la corruption – et comment se porte-t-elle en temps de crise ?
Le problème avec le droit pénal suisse est qu’il doit souvent appréhender des crimes économiques sous l’angle du blanchiment en tant que son préalable – ce qui passe par l’examen matériel du crime préalable et complique ou biaise parfois un peu l’analyse en fonction de considérations relatives au blanchiment. En matière de corruption, la définition du producta sceleris sujet à être confisqué en application du droit pénal matériel sur la confiscation est difficile. Le produit direct de la corruption est assez clair pour le corrompu : c’est l’avantage indu touché pour accomplir un acte relevant de sa fonction. Pour le corrupteur, cette définition est plus difficile. L’avantage direct n’a souvent pas de valeur économique propre – typiquement une autorisation, une concession, une absence de sanction, un certificat, etc. L’avantage n’est généralement qu’indirect : exploiter un commerce, une concession, exercer une activité ou une profession, obtenir un contrat ou un marché. La difficulté est alors de faire rentrer ce gain indirect dans les exigences du droit matériel de causalité entre le crime et son produit. C’est ce qu’a fait le Tribunal fédéral dans cet arrêt 137 IV 79 traduit au JT 2011 IV 385 – traduisant-là une évolution nécessaire à une répression efficace de la corruption.
Pour le TF, l’avantage indirect de l’infraction peut donc désormais être confisqué s’il est dans un rapport de causalité naturelle et adéquate avec un acte de corruption – soit les valeurs patrimoniales acquises en exécution d’un contrat obtenu par corruption. Le TF n’entre pas dans cet arrêt dans la plus délicate question de savoir si le produit illicite indirect réside dans le seul profit ou dans l’entier des valeurs économiques de l’activité constituant indirectement le résultat de l’acte de corruption. Dans cette affaire il s’est limité à mentionner « les valeurs patrimoniales » obtenues grâce à un commerce de charbon prétendument rendu possible par un accord de corruption – mais le rapport de causalité n’étant pas établi d’une manière suffisante dans les faits. Le TF poursuit en revanche par la considération juste et logique que de tels profits indirects peuvent dès lors faire l’objet d’un blanchiment.
Dans la pratique et en termes de sentiment de justice, cette considération est logique : ce n’est pas parce que ce profit ne serait qu’indirect que le gain résultant d’une activité obtenue et exercée grâce à une corruption ne pourrait pas être confisqué au corrupteur. En termes de droit pénal matériel c’est un peu plus difficile compte tenu du caractère indirect de ce profit et de l’exigence de la double causalité naturelle. Une activité commerciale peut être entièrement licite et légitime – mais la concession ou le contrat avoir été obtenu par corruption, rendant plus difficile la perception de justesse de la confiscation – par opposition à la sanction pénale pour l’acte de corruption active. Cet examen-là sera donc pour une prochaine fois. Dans l’intervalle l’étude annuelle 2012 de Ernst & Young sur la corruption n’est pas pour rassurer : une entreprise suisse sur cinq ne considère pas le risque de corruption ni n’a de directives à ce sujet, seules quatre sur dix estiment que l’Etat a la volonté de la poursuivre, et six sur dix estiment qu’en temps de crise il doit être possible de fermer les yeux… Il y a en Suisse une perception – fausse – que c’est un non-problème ou celui de son auteur seul et non de l’entreprise. Scary.