Le brouillard juridique des grandes oreilles – et autres délires numériques

Posté le 1 octobre, 2013 dans actu / news

Cacophonie puis retour aux affaires courantes plus ou moins sans autre après chaque épisode d’indignation médiatique et momentanée sur les histoires de grandes oreilles, entendez par-là la NSA, l’espionnage des communications et du net par les gouvernements et autres Watergate d’aujourd’hui. L’indignation et la préoccupation sont à l’image du monde actuel et de ses news : éphémères, sans suites, ça s’essouffle et devient lassant à force, et on passe à autre chose – jusqu’à la prochaine fois. Les lampistes trinquent dans l’intervalle – Manning, Snowden et consorts -, les messies – Assange, Domscheit-Berg et Cie – prêchent dans le désert, et tout cela avec les incohérences et les récupérations liées au fait que le débat n’est pas correctement posé. Qu’est-ce que le Big Data et qui le définit-il juridiquement, qu’est-ce qu’un hacker « éthique » – et cela existe-t-il ?, la NSA est-elle pire que son homologue russe ou de pays arabes totalitaires – dont personne ne parle, la Suisse doit-elle vendre du matériel d’espionnage à des états non-démocratiques, la cybersurveillance est-elle dangereuse, illicite – ou justifiée pour lutter contre le terrorisme ? etc. etc. Les livres des Assange de service sont franchement incompréhensibles et dépeignent une menace épouvantable sur fond de complot mondial – mais totalement intangible sinon en termes philosophiques. Il est réfugié à l’Ambassade d’un pays qui n’est pas un chantre des droits de l’homme mais un ennemi naturel de celui qu’il a exposé. Comme Snowden à Moscou. Et on continue de s’étrangler au nom d’informatique et libertés quand le fitness du coin stocke des données personnelles, ça c’est tangible et on sait auprès de qui râler – pendant que Big Brother continue tranquillement à suivre tout ce que nous disons. Bref ça nous mène où tout ça ?

Nulle part – tant que le débat ne sera pas posé convenablement – et divisé en dizaines de compartiments sous un grand parapluie de principes. La question est tellement vaste qu’elle va du terre-à-terre – le fichier du fitness ou un site de vente qui révèle nos achats – à la philosophie sinon la métaphysique – quelle est le sens de la liberté personnelle numérique ? – à la politique et à la démocratie – qu’est-ce que l’Etat doit pouvoir savoir pour remplir sa mission de veiller au bien commun et contre quels risques de dérive ? Le débat est ainsi biaisé par la qualité de l’Etat de droit des pays dans lesquels il se déroule. Lorsque les données surveillées – problématiquement – ne sont utilisées que pour assurer la sécurité du pays, l’intérêt philosophique et personnel de s’y opposer est faible. De fait personne n’y est opposé s’il s’agit de prévenir les attentats de Boston. Mais ce débat n’a pas lieu dans les pays qui n’utilisent pas ces données pour bien faire. Sans savoir ce que les dérives de la surveillance représentaient au plan politique sous par exemple la Stasi, difficile de percevoir et de comprendre ce risque. Ou alors s’est-il évanoui dès lors que plus personne ne pourrait être poursuivi pour ses idées politiques sur la base d’une surveillance contraire aux droits de l’homme ? Ou faut-il considérer que la surveillance est acceptable dans les Etats de droit parce qu’ils ont justement des garde-fous juridiques ? Dans l’idéal peut-être – mais lequel n’est de loin pas encore réalisé : l’IRS qui espionne les formations du Tea Party par exemple. Même s’ils ne pouvaient en faire grand chose cela choque. L’une des clés outre même la question de l’efficacité de ces filtres réside in fine dans l’inutilisabilité des informations dans un Etat de droit.

Au plan personnel et commercial, l’argument qu’il n’y a pas d’intérêt juridique à protéger quand tout est mis volontairement sur les réseaux est souvent entendu mais bien sûr sans portée. La liberté personnelle numérique porte sur le périmètre que chacun rend accessible et à qui. Un problème réside dans l’accès indu aux données, leur diffusion et leur exploitation sans que le consommateur le sache ou l’ait compris. Un monde numérique global ne simplifie pas la définition, l’adoption et l’application des règles nécessaires – mais le monde se divise en deux camps comme pour celui de la surveillance étatique : les opérateurs évoluant dans le droit et les autres. Dans le premier l’activité et les droits et libertés numériques sont juridiquement cadrés même si les normes ont un temps de retard sur les pratiques et les technologies. Dans l’autre c’est chacun pour soi – et tant les commerçants que les consommateurs légitimes choisissent le bon ce qui est en principe rassurant. Un autre problème est celui de la protection de la personnalité pour le contenu mis en ligne volontairement. Le droit ou plutôt la jurisprudence est encore juvénile mais à disposition – dans les Etats de droit. De fait Internet n’est pas, pour ceux qui y naviguent dans les eaux claires, le Bronx numérique souvent décrit, mais un lieu d’échange et de valeur ajoutée commerciale, culturelle, politique, etc. La partie noire ou immergée du net ? Là c’est chacun pour soi – mais qui s’y aventure-t-il vraiment ? Pour le juriste comme pour l’artiste, le commerçant ou le particulier, le net a toujours de beaux jours devant lui assez loin des périls alarmistes. Les normes d’accès à l’information sont un ouvre-boîte puissant et en place – contre quiconque et même l’Etat. Le droit et la jurisprudence affineront ce qu’un chef du personnel peut aller voir sur le net, ce qui peut être récupéré d’un ex-ami, le partage des fichiers personnels au décès ou au divorce, etc. Et in fine si Big Data est aussi méchant que Big Brother. A suivre – sans crainte ni faveur.

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