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Le séduisant et angélique Amicus Brief de la Suisse dans la procédure contre l’UBS en Floride

Or donc la Suisse a déposé un « amicus brief [1] » dans la procédure civile ouverte en Floride contre l’UBS, dans laquelle l’IRS américain persiste à ce qu’il soit prononcé un John Doe Summons contre l’UBS tendant à ce qu’elle révèle les noms de 52’000 clients américains « supplémentaires ». La Confédération indique faire valoir des points de droit, soit que donner suite à la requête entraînerait des conflits de lois et violerait le traité en place entre la Suisse et les Etats-Unis. Le mémoire est très descriptif et comporte un séduisant catalogue de tout ce que la Suisse fait de bien en matière d’entraide judiciaire pénale et fiscale selon le traité. Le principal point de fond est toutefois le suivant : vous ne pouvez pas, par un ordre de production civil, portant sur des données situées en Suisse, contraindre une société suisse à violer le droit pénal suisse, cela en ne faisant pas usage du traité en vigueur entre les deux Etats qui s’applique à cette matière – mais lequel ne permettrait pas l’obtention de ces informations puisque vous ne possédez pas les informations spécifiques nécessaires à sa mise en œuvre. Cela contrairement aux cas des 250 noms transmis en février qui faisaient l’objet d’une demande d’entraide et étaient, selon ce qui en a été dit, désignés et constitutifs de fraude au sens de la condition du traité nécessaire à sa mise en œuvre. L’argumentation juridique sur la force obligatoire du traité, sur le respect mutuel de leurs ordres juridiques que se doivent deux Etats, et sur la hiérarchie entre le John Doe Summons, de nature civile, et l’infraction pénale que commettrait l’UBS en Suisse si elle y donnait suite, est d’une certaine conviction. Mais il y a des mais.

Sur le fond du problème, la position de la Suisse revient ainsi à dire aux Etats-Unis qu’il y a ou avait peut-être 52’000 clients américains non-déclarés auprès de l’UBS, mais que le droit civil américain ne peut forcer une société suisse à violer le droit pénal de son pays et alors que cette information s’y trouve, que le traité doit être employé à cette fin mais que, dommage, il ne pourra être d’aucune utilité vu qu’à défaut de requêtes spécifiques et étayées sur les 52’000 contribuables, c’est une fishing expedition qui ne satisfait pas ses conditions. Donc, en d’autres termes, tant pis pour vous aux termes du traité qui nous lie et dont la conséquence serait la même si la Suisse mandait les Etats-Unis. Je n’ai pas de problème avec cette argumentation. Un traité est un traité et les droits et obligations sont effectivement réciproques. Je ne critique pas la position politique prise par la Suisse dans la renégociation du traité, la liant plus ou moins fermement à l’abandon de cette demande envers l’UBS. La politique est la politique et l’avenir seul dira si cette position était opportune ou non. Toujours est-il qu’au sein du rapport de force inégal entre les Etats-Unis et la Suisse, la Suisse prend à nouveau une position de défiance fondée sur un juridisme poussé et dont elle est la seule bénéficiaire. La résultante de cette position est qu’aux termes du traité, nous ne pouvons rien faire pour vous, vous ne pouvez pas nous demander qu’une entreprise suisse viole son droit pénal et tant pis, en l’état du droit selon nous, pour les 52’000 contribuables et leurs milliards non-déclarés. Le monde sera meilleur une fois le traité renégocié et ayant éliminé la distinction entre fraude et évasion, progrès important, mais lequel ne vous aidera pas davantage avec ces 52’000 noms puisque vous n’aurez toujours pas les éléments nécessaires à fonder une demande.

Cette position n’est donc évidemment pas très sexy pour les Etats-Unis. Même s’il n’est jamais opportun ni réaliste de se mettre en bras de fer avec les Etats-Unis, compte tenu entre autres de la nécessité pour la place financière suisse d’avoir accès à la place financière américaine, je pourrais n’avoir qu’un problème relatif avec la position de l’UBS et de la Suisse, y compris l’éventualité d’un conflit positif de normes et d’obligations, si elle n’occultait deux points de fait et de droit majeurs dans la discussion. Si l’information demandée est certes détenue en Suisse, l’UBS a créé elle-même un for contre elle aux Etats-Unis, en y déployant une activité effective de private banking onshore depuis la Suisse de manière occulte et sans y être autorisée. Elle a en outre violé l’accord QI librement conclu avec l’IRS comportant des obligations dans les cas de détention de comptes suisses par des contribuables américains. L’amicus brief est muet sur ces deux points, probablement à dessein. Escompter qu’ils s’évaporent de la discussion au niveau politique et/ou dans le cadre de la saisine du tribunal de Floride paraît bien candide ou un sacré coup de poker.