Puisque nous sommes dans l’article 6 restons-y – c’est d’actualité. Lu dans le Temps du 19 septembre 2013 : L’embargo contre Téhéran affaibli par la justice européenne. Le Tribunal de l’Union européenne a jugé illégales des sanctions contres des entreprises faute de preuves les impliquant dans le programme nucléaire iranien. Idem de la part de la Cour Suprême britannique. Et la justice d’affaiblir ainsi l’embargo. Et l’article de se demander jusqu’à quel point ces failles judiciaires mettront en danger l’efficacité des sanctions. Ces propos sont à la fois inquiétants et encourageants. Inquiétants parce que manifestement, il ne vient plus à l’idée de la presse et des gouvernants que l’action de l’Etat doit respecter le droit y compris en matière de sanctions internationales. Si aujourd’hui l’Etat peut ne plus respecter le droit en matière de sanctions, et qu’il n’y a pas de recours judiciaire, alors demain il pourra violer la liberté de la presse et les droits politiques – et les mêmes hurleront comme des putois. Inanité donc de cet article. Ce journaliste n’écrirait probablement pas un article sous le titre Le contrôle de la presse affaibli par la justice européenne. Mais encourageant parce qu’augmente ainsi chaque jour davantage, dans un appareil judiciaire qui prend pleinement son indépendance dans les Etats démocratiques, la conscience que le droit de recours à un juge impartial et indépendant s’impose à toute l’activité étatique. Et à ce titre l’art. 6 CEDH est le plus important de tous. Pourquoi ?
Parce que tout simplement, sans lui, aucun des autres n’a de portée. Si le dire plaît naturellement aux avocats, sans l’indépendance du juge, sans son impartialité, et sans accès effectif et concret à celui-ci, aucun des autres droits fondamentaux ne peut être concrétisé. La catégorisation et une certaine hiérarchisation des Droits de l’Homme par la doctrine, et même par la CourEDH elle-même, ont donc un effet pervers. Même si l’on comprend bien qu’il apparaît philosophiquement plus grave d’être torturé que de se voir privé d’un regroupement familial ou d’un des droits fondamentaux à caractère économique, ils forment concrètement un tout. Ils doivent à ce titre tous recevoir la même considération et concrétisation judiciaire – ce qui postule avant tout le respect le plus absolu de l’art. 6. Comment lire ainsi, dans la suite de ce qui précède, l’élection de la Chine, de la Russie, de Cuba et de l’Arabie Saoudite au Conseil des Droits de l’Homme ? Tout à la fois. Une farce parce que c’est risible en l’état de concrétisation des droits fondamentaux dans ces quatre Etats. Mais comme ce n’est finalement pas drôle, en soi et pour les victimes des violations des Droits de l’Homme qui y sont commises, c’est également un affront à leur cause. S’il fallait toutefois exclure de cet organe de l’ONU tous les Etats qui violent d’une manière ou d’une autre les droits de l’Homme, aucun n’y siégerait. Et où alors placer le curseur ?
Il est possible de procéder à certains types de mesures du degré de concrétisation des droits fondamentaux dans les Etats. Mais cet exercice est difficile. Il implique de posséder des données qui ne sont précisément pas disponibles dans les Etats les plus problématiques. Il implique de catégoriser et hiérarchiser les droits fondamentaux et leurs violations, et donc une large part de subjectivité et la prise en compte de références culturelles, sociales et historiques variables. Et c’est un exercice politiquement difficile avec l’habituelle question de savoir si un Etat progressera mieux s’il est membre du club ou mis au ban. C’est donc une chance également : en confrontant ces Etats à la matérialité des droits fondamentaux, à un processus qui impliquera leur propre évaluation, et en dépit des imperfections et interférences politiques, et sous la pression également de la presse (libre !) et des ONG, en principe il doit en résulter leur progrès plutôt que l’inverse. Et sans perdre de vue que l’art. 6 [1] ou l’un de ses alter ego doit y être respecté le premier.