Une des premières mesures du nouveau gouvernement est de baisser les salaires des ministres [1], et du président d’ailleurs, de 30%. C’est la crise et dès lors, pour le premier ministre, une mesure « d’exemplarité ». Durant toute la campagne se sont affrontées, sur le constat commun de la crise et de l’endettement, les positions d’une austérité rigoureuse pour la droite et d’une relance par la dépense pour la gauche. Ces positions ont en réalité été dogmatiques et peu explicitées. La gauche n’a pas expliqué et encore moins chiffré en quoi la relance de la croissance par la dépense doit amener à terme la baisse de l’endettement. La droite n’a pas expliqué en quoi l’austérité permet sa résorption créant la base de relance de la croissance. Le débat était simpliste et manichéen : les dispendieux irresponsables favorisant les assistés contre les rigoureux favorisant l’effort et le vrai travail. Mais les deux camps de s’en prendre aux « riches », à nouveau de manière dogmatique et démagogique : à quelque niveau que la limite soit placée, ils sont une minorité – et le discours susceptible de plaire ainsi à une majorité. Ce rapport aux riches est à nouveau sans nuances ni développement : ils n’ont qu’à payer – plus. Et de bien sûr se bien garder de rappeler que les 15% de contribuables les plus aisés contribuent pour 70% des recettes fiscales – ce qui est déjà concrètement une formidable solidarité – mais pas extensible à l’infini. Et d’escamoter que les riches de toute la fourchette du revenu médian jusqu’aux grandes fortunes sont un facteur essentiel de dépense, de croissance et d’emploi. Vers quel rapport à ses riches cette France veut elle donc tendre (cf. l’excellent commentaire d’Emmanuel Garessus [2] dans Le Temps), en réduisant aujourd’hui les salaires de ses ministres ?
Pour en finir avec les riches, les entrepreneurs le sont parce qu’ils ont créé des emplois – et paient impôts et charges sociales. Ceux qui dépensent stimulent la consommation. Ceux qui investissent dans les marchés stimulent et financent l’économie. Pourquoi donc tant de vindicte ou de stigmatisation sans nuance ? Pourquoi stigmatiser la réussite économique – tout en réclamant de la croissance ? Et alors que l’entrepreneur a au surplus pris lui-même des risques économiques qui sont parfois, souvent, perdants. Pourquoi ainsi cette sorte de prime vécue lors de la campagne à la modestie patrimoniale – comme si elle était garante de quelque bonne moralité ou intelligence – ce qui n’est certainement pas vérifié ? S’agissant des ministres, il s’agit d’une fonction publique du plus haut niveau. C’est certes servir, ce qui est un honneur, mais une responsabilité qui ponctue souvent un long parcours exposé, peu rémunérateur et souvent ingrat. Même s’ils bénéficient d’avantages en nature, pourquoi les ministres n’auraient-ils pas droit à un traitement en ligne avec leur charge – et en comparaison avec le secteur privé (hors les excès de quelques situations) ? C’est restreindre de manière dommageable pour l’Etat l’accès à des fonctions importantes à ceux qui ne sont pas prêts à s’exposer et à prendre un risque de carrière pour un traitement insuffisant. C’est limiter la filière politique, et en fin du compte le choix, y compris de l’électeur et donc la portée réelle de la démocratie, aux seuls aparatchiks qui accepteront d’accomplir ce chemin de croix mal payé, peut-être même pour certains par défaut.
Et il y a le point également de la corruption. Mal payer les élus et les fonctionnaires disposant de formes de pouvoir presque toujours monnayables d’une manière ou d’une autre est un facteur historique et démontré de corruption. L’ampleur actuelle de la corruption ou de schémas d’influences et d’intéressements occultes est en revanche une immense zone grise. Elle demeure substantielle même s’il y a eu, de manière générale et par la répression et la réglementation, une amélioration de la gouvernance et de la moralité de la vie publique lors des deux dernières décennies. Dans les pays dans lesquels l’Etat de droit n’est pas accompli, le sous-paiement des fonctionnaires et des élus reste un facteur primaire de corruption et de résistance au changement. Un professeur de droit anglais chargé d’une mission de sensibilisation aux problèmes de corruption en Indonésie citait toujours un exemple amusant : ayant réuni des centaines de cadres, en l’occurrence de la police, dans une salle de conférence, il leur demandait de noter, chacun pour soi, sur une feuille pliée en deux, le salaire estimé du collègue assis à leur droite. Puis cela fait, de regarder quelle montre il avait au poignet et de se demander si elle était compatible avec son salaire. De telles questions demeurent de mise dans de nombreux Etats – et comprenant celle d’un traitement adéquat et qui ne soit pas doctrinairement indigent du personnel politique.