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Mandats d’une juge argentine contre des franquistes : Justice et compétence universelles – une perspective Nord-Sud ?

L’enquête, et les mandats internationaux, lancés par la juge argentine Maria Servini de Cubria contre des anciens membres du régime franquiste remet sur la table les questions de justice et de compétence universelles. L’objet de ce post n’est pas de savoir si une loi d’amnistie est juste, souhaitable politiquement, inique ou démocratiquement légitime. Ni si elle se heurte à des principes supérieurs en fonction des crimes concernés. Ni si le juge Garzon avait eu raison de vouloir tout-de-même enquêter et poursuivre. Il n’y a pas de réponse simple ou unique sur ce point en droit interne. L’aspect intéressant est ici la perspective Nord-Sud. Les deux cas les plus emblématiques furent les enquêtes de la justice espagnole et de la justice belge sur, respectivement, Pinochet et Ariel Sharon. Les victimes de crimes ont toujours le droit de saisir la justice mais, dans le second cas, la composante géopolitique actuelle était marquée : poursuivre en un autre lieu les crimes qui ne le seraient pas en Israël – et qui suscitaient une réprobation internationale. Dans le premier, il s’agissait de poursuivre les crimes du passé là où la justice nationale ne le faisait/ferait pas. Il fallait pour cela une compétence juridictionnelle – et c’est le droit interne de chaque Etat qui la donne, nonobstant les conflits politiques ou diplomatiques qui peuvent en résulter. La problématique pénale n’est pas réservée aux actes de droit commun : elle peut bien sûr s’appliquer dans tous les cas dans lesquels les conditions de la loi pénale sont remplies. Il n’y a pas bien sûr d’impunité ou de régime d’exception, sauf le cas particulier de l’amnistie, pour des crimes commis dans un cadre politique. 

Néanmoins, lorsque la justice espagnole enquêtait sur Pinochet, ou des potentats sont dénoncés à la CPI, il y a une composante Nord-Sud : des Etats de droit démocratiques – du Nord – pallient la carence d’Etats dans lesquels la justice n’est pas indépendante – du Sud. La qualité de nos institutions fait que nous devons faire la justice à leur place, et peu importe les acrobaties de compétence et la condescendance politique, l’impérialisme judiciaire : nous rendons justice – parce que vous n’en êtes pas capables ou en êtes entravés. Rendre la justice, c’est toujours bien. Aujourd’hui, l’Argentine est en quasi-faillite, dirigée par un clan à bout de souffle corrompu et incompétent, qui préfère couler avec le bateau qu’adopter les réformes ou prendre les décisions qui le sortiraient de l’isolement et de la banqueroute. L’Argentine nationalise les pensions, fait défaut sur sa dette, n’honore pas les jugements rendus contre elle, ne poursuit pas ses corrompus, exproprie des entreprises occidentales. Bref, se traîne de ce fait dans les fonds de classements des indices de performance économique, soixante rangs en dessous de celui auquel elle devrait être. Elle est perçue, en termes de corruption, au 106ème rang sur 177, aux alentours du Gabon et de la Moldavie, alors qu’elle fait partie du G20. Et c’est une juge argentine qui enquête sur les crimes du franquisme. Cette affaire sera donc intéressante sous cette perspective-là : une juge d’un Etat de droit à (certains) problèmes enquêtant sur les crimes historiques amnistiés de l’Etat de droit ancienne métropole. Et lançant des mandats d’arrêt internationaux en bonne et due forme. Après l’expropriation musclée et contentieuse de Repsol, va y avoir de l’ambiance – et passionnant juridiquement.