La modification de l’Ordonnance de la CFB sur le blanchiment (RS 955.022 [1]), comme toute modification de règles anti-blanchiment, est un événement juridique important en Suisse. Vu l’importance de la place financière et de l’activité bancaire et para-bancaire. Vu la nécessité d’être un bon élève en cette matière au plan international – au titre entre autres de l’un des éléments de défense du secret bancaire et de la place financière suisse. Cela même si l’appareil anti-blanchiment a un coût économique élevé, que l’on pourrait et devrait discuter de son efficacité en termes de proportionnalité, et qu’il n’a finalement plus grand-chose à voir avec le péril pour lequel il nous a été « vendu » en son temps, soit le crime organisé susceptible de déstabiliser les démocraties. Dans une vision manichéenne et à la mode du monde, cet appareillage ne peut être que béatement bénéfique et légitime. So be it et dommage pour les débats de fond, depuis longtemps évaporés.
Le fait demeure toutefois que les règles anti-blanchiment, et l’attitude de ceux qui les édictent, sont à certains égards liberticides et posent des problèmes de société et de droits fondamentaux. Le danger typiquement avec les normes d’exécution, c’est que des techniciens (pour ne pas dire technocrates) visent le désirable au plan de la (belle) mécanique et de l’efficacité de manière isolée, parfois déconnectés de la réalité et oublieux des problématiques plus fondamentales. Et pondent parfois des règles passablement jésuitiques dans leur sens et leur libellé.
Deux commentaires au plan matériel. Les règles anti-blanchiment ne visent plus seulement à s’intéresser à l’origine des fonds, et donc au soupçon que peut ou doit avoir le banquier ou l’intermédiaire financier sur leur origine criminelle, mais à l’usage qui est fait des avoirs licites bancaires par le client. Cela procède de l’inclusion dans cet appareil, addition intellectuellement discutable, de l’objectif de prévenir le financement du terrorisme, mais s’étant étendu ensuite par génération spontanée à tout usage criminel des fonds. L’article 17 al. 2 litt. c. demande à la banque, dans le processus de clarifications complémentaires en cas de risques accrus, d’établir à quelles fins les valeurs patrimoniales prélevées sont utilisées. L’article 27 al. 1 instaure que celui qui a des indices fondant le soupçon que des capitaux légaux sont utilisés à des fins criminelles, peut faire usage de son droit de communication selon 305 ter al. 2 CP.
Dans une vision manichéenne du monde, une fois de plus, personne ne peut « être contre » le fait de lutter contre le crime, y compris lorsque cela nécessite de dénoncer l’usage d’avoirs licites en banque. Philosophiquement, c’est cependant plus discutable, tant dans son principe que dans le fait qu’il s’agit d’une ordonnance et non d’une loi, et surtout en termes d’efficacité. Dans un système qui ne connaît pas le perjury, établir à quelles fins les valeurs prélevées sont utilisées revient essentiellement à le demander au client. C’est gênant pour le banquier et le client, mais surtout inefficace car le client peut se taire ou mentir sans sanction – et ne dira donc certainement pas que c’est pour commettre un crime. Parfois même il mentira pour couvrir un acte éminemment licite et privé et qui ne regarde pas le banquier, typiquement acheter un bijou à sa maîtresse ou s’acheter un yacht ou un tableau non-déclaré là où cela lui chante. Cette surveillance du citoyen par l’argent par le banquier délateur, un grand pas plus loin que la communication d’indices objectifs d’une origine criminelle de valeurs, est philosophiquement discutable et d’autant plus qu’elle a par définition « courbé » le débat parlementaire puisqu’édictée par une autorité administrative.
Au chapitre des normes jésuitiques au point d’en être incompréhensibles ou totalement contradictoires dont l’administration est capable à force de se tourner les méninges la tête dans le guidon, l’art. 27 al. 1 n’est pas mal du tout :
Lorsqu’un intermédiaire financier n’a pas de soupçons fondés de blanchiment d’argent ou de financement du terrorisme au sujet d’une relation d’affaires mais possède des indices fondant le soupçon que des valeurs patrimoniales proviennent d’un crime ou que des capitaux légaux sont utilisés à des fins criminelles, il peut faire usage de son droit de communication au sens de l’art. 305ter, al. 2, du code pénal, et communiquer ces indices aux autorités de poursuite pénale et au Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent.
Cela dit, comme je le souligne régulièrement et sans que ce ne soit une formule de style ou une coquetterie, c’est une occasion de plus de constater la faiblesse et l’absence des « lobbies » de la profession d’avocat dans le sens propre du terme, c’est à dire de nos associations professionnelles censées défendre les intérêts de la profession, du droit et de certaines libertés civiles ou liées aux droits de la défense et à la présomption d’innocence. Comme en témoigne le Rapport de la CFB de décembre 2007 sur la procédure de consultation [2], nos lobbies sont une fois de plus totalement absents du débat. Mais fait intéressant, une Etude, Bär & Karrer, a rendu une prise de position. Aux côtés de plusieurs organismes officiels ou associations de banques, et même la Chambre Fiduciaire. Mais pas d’OdA ni FSA ni autre ordre cantonal qui vive…
Je ne connais pas la prise de position de Bär & Karrer mais c’est un joli coup de pub et good for them puisque ce rapport sera lu par des milliers de fonctionnaires, banquiers, financiers, réviseurs, etc., ce qui les profile assurément, délibérément ou non, comme spécialistes, praticiens ou intéressés au domaine. Si leur prise de position était en plus matériellement fondée et que c’en était le moteur, eh bien ils auront au moins été les seuls à faire valoir le point de vue d’avocats, occupé le terrain délaissé par nos lobbies, et donc good for them again.