
Ouf l’avocat ne doit pas tout savoir ! – bref commentaire de l’ATF 134 III 534
Ouf, les avocats ne doivent pas tout savoir ! L’ATF 134 III 534 a enfin tranché que l’avocat ne doit connaître que la jurisprudence publiée – et non la totalité des arrêts de toutes les juridictions possibles disponibles en ligne (Consid. 3.2.3.3). L’évolution subie par la profession d’avocat, en finalement quelques années, du fait de l’accès à la matière juridique en ligne est considérable (cf. ce blog du 6 novembre 2007). Elle va au-delà de cette simple disponibilité de matière. Cette quantité bien supérieure est pour partie compensée par les outils de recherches informatisées, beaucoup plus performants que les anciennes tables des matières papier. Même les avocats les plus scrupuleux en matière de formation continue et de suivi de l’activité des tribunaux étaient toutefois inquiets d’une possible obligation d’avoir passé en revue toutes les décisions qui se publient sur tous les sites de juridictions, et même ne serait-ce que du Tribunal fédéral. Il y a, juridictions fédérales et cantonales cumulées, plus de mille décisions mises en lignes chaque semaine et il est difficile sinon impossible pour l’avocat de toutes les passer en revue.
L’arrêt du TF n’est pas motivé outre mesure. Cette considération de la masse de la matière en ligne et de l’impossibilité de la passer en revue, en lien avec le principe de l’obligation de moyens du mandataire avocat, a certainement joué un rôle. Le TF n’a donc pas voulu imposer aux avocats l’obligation de faire porter leurs recherches sur l’ensemble de la matière disponible en ligne malgré les outils et moteurs de recherches qui en permettent effectivement un tri rapide et efficace, mais qui n’est pas infaillible. Le TF a par là maintenu la hiérarchie du système actuel dans lequel les décisions de principe et les changements de jurisprudence font l’objet d’une sélection spécifique par le TF lui-même dans les ATF. L’arrêt donne donc un signal clair et ne fait d’ailleurs et dés lors pas référence aux autres revues même importantes.
Cette solution est raisonnable et cohérente par rapport au système. Elle part du constat que les décisions essentielles d’une matière sont identifiées et publiées, que l’obligation de moyens impose de connaître l’essentiel, et que la seule recherche juridique n’est qu’une fraction de la prestation et de la valeur ajoutée de l’avocat. Elle ne signifie pas à l’inverse que l’accès à une matière plus vaste est inutile. Chacun pourra y trouver les compléments qu’il estimera intéressants, par exemple l’une ou l’autre confirmation récente d’un arrêt de principe déjà ancien. Il sera toutefois toujours moins fort et moins opportun de soutenir une thèse en citant un arrêt non-publié plutôt que l’arrêt de principe.
Ce constat est-il à l’inverse effrayant ou décevant pour le client de l’avocat, lequel croit trop souvent intuitivement que l’avocat lui doit un résultat, et lequel part plus raisonnablement de l’idée que, comme son médecin, son avocat est au sommet de son art et connaît toute sa matière ? L’ATF 134 pourra surprendre mais n’a pas cet effet puisque les tribunaux eux-mêmes se fondent également en priorité sur la jurisprudence publiée. Que le TF l’ait aussi souhaité ou non, l’arrêt 134 n’est ainsi pas au seul bénéfice des avocats. Il l’est également à celui des instances qui lui sont inférieures et dont il ne peut non plus être attendu qu’elles connaissent la totalité de la jurisprudence en ligne non publiée. Il est juste dans un ordre juridique cohérent, et dans lequel la doctrine relève et commente également les décisions de principe, de s’en remettre à une sélection fondée sur des critères matériels et objectifs constituant la base de l’interprétation du droit – libre à ceux qui le souhaitent, juges et avocats, d’en sortir et d’exploiter le cas échéant l’ensemble de la jurisprudence en ligne, en principe hiérarchiquement non-essentielle, mais sans que l’inverse ne puisse leur être reproché.