PROCEDURE CIVILE : L’AVENIR RADIEUX DES FAITS NOTOIRES ?

Posté le 17 octobre, 2015 dans justice

Le Tribunal fédéral a rendu deux arrêts en matière de faits notoires. L’avènement d’internet ayant complètement changé la donne en matière de notoriété d’un fait, et le CPC étant d’une rigidité cadavérique en matière d’allégation et de preuve, cela mérite qu’on s’y attarde. Il sera plaidé de plus en plus, pour rattraper une omission ou contourner une difficulté pratique, qu’un fait est notoire. Cela demeure risqué vu la quasi-discrétion d’une instance d’admettre ou non qu’un fait est notoire – et vu la difficulté de ferrailler dessus en cas de désaccord. Le TF vient toutefois d’y apporter un peu de précision. Un arrêt 6B_103/2015 (SJ 2015 I 386) a tranché que la juridiction d’appel ne pouvait fonder son jugement sur des faits qu’elle a elle-même recherchés sur des sites internet sans les communiquer aux parties ni leur offrir la possibilité de s’exprimer à leur propos. Ce blog avait déjà évoqué ce problème en 2010 – et il est bien que cela ait été dit même si cela semble une évidence. Les principes de contradiction, de loyauté en procédure et du droit d’être entendu, et selon les cas la maxime applicable, empêchent une autorité judiciaire d’apporter des faits, mêmes notoires, à la cause – sans interpeller les parties ou même tout court. Un juge peut en être tenté : soit il s’en tient strictement à ce que les parties allèguent et démontrent, soit un élément de fait le titille et il est certain aujourd’hui qu’il puisse trouver tout seul en quelques clics des éléments pertinents sur internet. Cet arrêt est donc bienvenu pour rappeler le principe – mais qui sera sûrement encore affiné.

Cet arrêt ayant été rendu en matière pénale, les droits fondamentaux commandaient donc que tout fait sur lequel l’autorité voulait fonder une décision ait été soumis à la détermination des parties. Sur la notoriété d’un fait, cet arrêt évoquait quelques considérations – mais le second arrêt étant plus important. Rendu en procédure civile, l’arrêt 4A_509/2014 (SJ 2015 I 385) évoque un cas concret et pose que pour être notoire, un fait doit pouvoir « être contrôlé par des publications accessibles à chacun ». Le TF donne en exemple le registre du commerce, accessible par internet. Mais tout internet est accessible à chacun et constitue une publication ! Avec une force probante variable mais parfois pleine. Paradoxalement, le TF a exclu ensuite que la distance kilométrique entre deux petites localités soit un fait notoire. Il a probablement été irrité que cela ne soit allégué ou prouvé en l’espèce – mais s’il y a bien une chose qui est notoire en termes géographiques, c’est la distance entre deux localités suisses. Google Maps et des dizaines d’autres sites donnent l’information en 0,008 seconde. La carte nationale de la Suisse est accessible par internet et la topographie suisse est entièrement publique. C’était donc là le mauvais contre-exemple. Ce que ces deux arrêts illustrent est qu’aujourd’hui, internet rend accessible en quelques instants des informations qu’il fallait autrefois se procurer en papier en allant à un guichet, dans une bibliothèque ou par voie postale. La réflexion est donc loin d’être terminée, tant sur ce que le juge peut ou ne pas faire seul en procédure que sur la notoriété d’un fait disponible en ligne. Cela sera, au début en tout cas, très casuistique, mais les faits notoires auront un avenir certain sinon radieux en justice.

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