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Punir les juges qui libèrent un récidiviste – les limites des initiatives et des lois dictées par l’émotion

Le sujet est délicat – et ouvert au débat dans un Etat connaissant démocratie directe et liberté d’expression. Et l’émotion participe de la nature humaine et de la vie en société. L’émotion ne doit pas être bannie du droit mais celui-ci ne doit pas être dicté par elle – ou ses explosions – et cet équilibre est lui aussi délicat. Le législateur prend (en principe) en compte tous les intérêts d’une manière qui inclut l’émotion – mais pas ses excès ou l’irrationnel qu’elle peut engendrer. Lorsque le système connaît une défaillance, la loi est parfois le problème, parfois son application, parfois les deux. Légiférer sous le coup d’une émotion même compréhensible, même justifiée, mène souvent à des règles absurdes ou incohérentes, et dès lors difficiles à manier pour l’appareil judiciaire. En l’occurrence le débat est encore biaisé par le phénomène de victimisation et de tyrannie de la compassion que les médias entretiennent. Or aussi triste, brutale et injuste une atteinte soit-elle, la qualité de victime diminue précisément l’objectivité et la justesse du propos – plutôt que l’inverse. Autant donc le dire, la nouvelle initiative d’Anita Chabaan de tenir personnellement responsables les juges et les experts qui relâchent un délinquant sexuel ou violent qui récidive fait fausse route et est dangereuse pour l’Etat de droit.

L’émotion dicte certes la première réaction face à un drame : Quel est le con qui a relâché le délinquant ? Il est fou. Il faut le punir. La douleur et l’incompréhension l’induisent. Difficile d’opposer le technique et le rationnel, et le risque inhérent, à la douleur immédiate et terrible. Mais chaque situation est complexe et ressortit de mécanismes, pas d’une simple défaillance individuelle. Et si elle ressortit d’une défaillance individuelle deux choses : le système doit les accepter, et connaît déjà des mécanismes disciplinaires et de surveillance – qui doivent fonctionner. L’initiative est perverse car elle est simpliste. Punir celui qui faute, qui se trompe, quoi de plus juste et naturel ? Mais juges et experts doivent pouvoir prendre leurs décisions sur la base de ce que dit la loi, avec la protection que cela implique. S’ils viennent à prendre leurs décisions sur le risque qu’ils soient poursuivis, alors le système sera biaisé et ils privilégieront leur propre protection à leur mission institutionnelle. Avec pour effet de maintenir tous les délinquants potentiellement dangereux en prison ou en internement. Cela n’est pas un monde meilleur mais un monde totalitaire, sans espoir ni rédemption – qui sont fondamentaux à la société.

Ce n’est pas-là non plus le cliché simpliste et faux d’accorder plus de droits à l’auteur qu’à la victime – mais faire prévaloir le droit et la cohérence du système sur une justice d’exception brutale et in fine arbitraire. La réponse sociétale passe par le droit de fond, ce que la société veut comme réponse législative sur les comportements concernés, pas par la mise en cause des juges et des experts. La posture visant un résultat juste n’est pas juste en elle-même.