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Quel impact du jugement Blurred Lines sur la musique et les artistes (du monde entier) ?

Il y a de nombreux ingrédients à la discussion et à l’analyse. Le lieu, les Etats-Unis, où la musique est une industrie, et son système judiciaire. La domination des Etats-Unis dans la vente en ligne de musique. Puis en vrac le fait que tout contenu artistique s’inspire, par définition, volontairement, ou non, ou inconsciemment, ou subliminalement, de ce qu’ont fait les autres. Que l’informatique entrée dans la musique depuis trois décennies permet la reprise de contenu, la partition, ou de son, les arrangements. Le fait que certains artistes en usent ou abusent aujourd’hui, sans que la question de savoir s’il s’agit d’un manque d’imagination ou d’un hommage ne présente aucun intérêt ni philosophique ni juridique. Le plagiat et la violation d’un droit auteur sont des questions juridiques qui se posent dans le monde musical depuis toujours. Les tribunaux en traitent de temps à autres. Il y a d’innombrables cas dans lesquels une ligne, une mélodie, un refrain, quelques notes, s’approchent de l’œuvre d’autrui, volontairement ou non, avec à la clé un procès et un jugement – ou non. Des conséquences économiques. Et la difficulté, la décision, avec sa marge d’appréciation, de dire si l’œuvre attaquée est ou non trop proche de l’original selon les règles du droit d’auteur. Dans le cas de Blurred Lines [1] vs. Got to Give It Up [2] (écoutez-les là), c’est toutefois une vraie boîte de Pandore qui a été ouverte par un jury de Los Angeles – parce que ce n’est pas la mélodie, la partie sujette à partition, à écriture, à droit d’auteur, qui a été jugée trop proche d’une précédente œuvre, mais un son, un style, des arrangements. Presque même un époque !

Cela pourrait donc avoir un impact colossal – puisque tout le monde reprend par définition des éléments de son communs à toute la musique ou à certains artistes. Ce jury-là a donc apprécié cette ressemblance stylistique-là sans égard à l’impact potentiel d’une telle décision : un son, un style, une production, ne peuvent ni ne doivent être sujets à droit d’auteur. Le juge avait pourtant exhorté le jury à se prononcer en termes de sheet-music. Et l’audience a dû être passionnante, passant d’arguments comme celui de l’abus de substances pendant la composition, à l’audition de toutes sortes d’experts en musicologie ou à un témoignage au piano de Robin Thicke – pour prouver la proximité de certaines lignes entre Michael Jackson, U2 et les Beatles. Une performance en audience – probablement unique. Or les musiciens le savent bien, ni les notes ni les rythmes ne sont infinis et tout le rock tournant sur les trois accords mi, la et si (au point que le groupe punk français des 80es Les Thugs les inclut dans ses remerciements au dos d’un de ses albums, entre leurs mamans, leurs copines et l’ingénieur du son), c’est la partition qui constitue à la fois leur carcan et leur barrière – pas le son.

Cette affaire est exceptionnelle par les millions de la condamnation [3], et parce que généralement, dans la tradition du système judiciaire américain, les affaires de droit d’auteur s’y transigent souvent comme les autres en amont du procès sur leurs forces et leurs faiblesses. Pour certains commentateurs, son impact sera limité car la création a toujours le dessus et mener un procès est un effort considérable. Pour d’autres c’est une catastrophe – tant il y a d’exemples dans lesquels la musique vit de l’existence et de l’évolution des genres, qui en sont l’âme, l’essence, le vecteur de lien, d’appartenance, d’appréciation. Et que chacun a sa propre opinion sur l’admissibilité ou l’excès d’une proximité. Teintée de son opinion sur les protagonistes, le gentil créateur original ou ses vils héritiers opportunistes, ou l’artiste ayant librement repris un son, rendu hommage, ou vilement plagié. Appel – ou pas ? Nous verrons bien… Voulez un autre exemple [4] ? Qui ose me dire après deux mesures que ce n’est pas (le son et de le style de) Police ? On a pas fini d’en parler.