
Rémunérations des fonds de placements : Le monde tourné vers le futur arrêt Harris v. Jones, et quelques autres considérations
La structure de rémunération des fonds de placements est un serpent de mer. Entre les courtages, entry fees, management fees et le cas échéant exit et performance fees, le coût de la machine elle-même est élevé. Il l’est davantage encore si c’est un banquier ou gérant qui acquiert des parts de fonds pour un client. Et qui ajoute donc les coûts du fonds aux siens propres. Ce coût total est donc tel – plusieurs pourcents – qu’il nécessite une performance particulière du marché pour que le calcul soit intéressant pour l’investisseur. Et à l’inverse, sans une croissance régulière et d’une certaine ampleur, il ne l’est pas et ne peut pas l’être. Se pose enfin, dans un marché haussier comme en tant que telle, la question de l’ampleur et de la légitimité de cette ponction sur la performance économique des valeurs sous-jacentes. Dans des marchés très haussiers, tout le monde semblait y trouver son compte, notamment en cas de leverage. Même s’il demeure possible de s’interroger sur la légitimité de ces rémunérations lorsqu’un fonds ne fait que surfer la vague haussière, à tout le moins s’il ne surperformait pas notablement son indice de référence. Les gérants de fonds rétorquent que le travail de sélection d’actifs, de market timing et de couverture possède une valeur ajoutée même dans des marchés haussiers et notamment dans des marchés spécialisés. Sauf le problème de l’opacité de certaines rétrocessions et de composantes du coût final pour le client, problème réel, le client exerce en principe sa pleine autonomie de la volonté quant à investir dans tel ou tel fonds, et à s’en abstenir si le coût ne lui convient pas. Est-ce dire pour autant que le marché est libre, et régule dès lors efficacement les structures de rémunérations des fonds de placements, et l’équilibre entre l’intérêt du client et celui du gérant ? Je ne le pense pas une seconde pour plusieurs raisons précises – mais la Cour Suprême des Etats-Unis donnera prochainement son avis dans l’arrêt à venir Jones v. Harris. Cet arrêt est largement attendu et scruté puisque pas moins de (16 !) amicus briefs ont été produits. Devant la Cour d’appel du 7ème Circuit, le débat a tourné autour de ces mêmes notions. Elle a jugé qu’il n’y a pas de limite devant être fixée selon ce qui est raisonnable en matière (contractuelle) de mandat (fiduciary duty), contrairement à la jurisprudence du 2ème Circuit. Et que c’est le marché qui régule seul cet équilibre. Les investisseurs ont des milliers de fonds à leur disposition et peuvent librement se détourner des fonds qui perçoivent une rémunération trop avantageuse pour le gérant et trop peu intéressante pour eux. L’arrêt fait référence, et c’est intéressant de même, aux modes de fixation des rémunérations dans les sociétés, les investisseurs pouvant aussi s’en détourner si elles amputent excessivement le résultat en défaveur du dividende. L’arrêt a néanmoins fait l’objet d’une sérieuse dissenting opinion (cf. M&A Litig. Comment. blog) d’un poids lourd sur ces sujets économiques, le juge Posner. Celui-ci estime que, tant s’agissant des rémunérations dans les sociétés qu’au sein de l’industrie des fonds, le marché ne les régule pas en réalité en raison d’un certain nombre d’entraves et de pratiques déterminées, notamment de nombreuses cooptations, intérêts croisés et situations captives. Ces facteurs affectent la fixation des prix laquelle n’a donc pas lieu librement. Des dizaines de blogs d’auteurs académiques et autorisés se déchirent depuis sur le sujet. Cette discussion est légitime et passionnante parce qu’elle touche à plusieurs aspects essentiels du fonctionnement des marchés et de l’économie libres jusque dans ses doctrines fondamentales : la transparence, la liberté de conclure et les équilibres de prix, d’une part, et la répartition du profit de l’activité économique, qu’il s’agisse d’industrie ou de gestion, d’autre part. Je partage la position du juge Posner que dans le marché des fonds collectifs de placements, la libre disposition du client n’est que théorique – parce que ces marchés sont affectés de certains biais dont notamment leurs structures de distribution. C’est le cas également, près de chez nous, et sans doute aucun, des mécanismes de fixation des rémunérations du management et du conseil dans des méga-groupes cotés comme UBS, Novartis ou Nestlé. Déterminer les conclusions à en tirer est plus délicat – parce que touchant à des questions plus philosophiques. Doit-il y avoir un contrôle judiciaire sur la base d’un standard juridique fondé sur le contrat de reasonableness, faisant référence à ce que serait hypothétiquement l’équilibre des prix et prestations si la transaction était véritablement libre ? C’est séduisant – mais comment le juge détermine-t-il cet équilibre à défaut précisément d’un marché libre et de ses indicateurs ? Doit-il y avoir une régulation des rémunérations, directement, ou de leurs modes de fixation, indirectement ? Pas simple non plus en termes de concurrence internationale – mais argument qui n’est pas de fond. Ceux qui s’y opposent au titre de la nécessité doctrinale de liberté du marché n’ont pour leur part pas été convaincants sur le fond non plus, notamment en protégeant bec et ongles l’absence de transparence des modèles actuels. Et ont ainsi davantage laissé transparaître la défense de leurs propres plates-bandes que la défense de principes fondamentaux profitables au marché. Nous verrons bien ce que la Scotus en dira – et sur la base de principes juridiques qui ne sont pas exactement ceux du droit civil. Reste également qu’elle ne tranchera pas un point supplémentaire et fondamental pour notre industrie de gestion : celle de la responsabilité que prend le banquier ou le gérant externe, dans le cadre d’un mandat de gestion, lorsqu’il acquiert pour le client des parts d’un fonds lequel, en plus du coût du mandat de gestion, nécessitera une performance de 2-3-4-5% ou plus au-dessus du monétaire avant que le client lui-même ne commence à gagner un premier centime. Peu y pensaient lors des marchés haussiers – mais accepter sans autres un overhead de plusieurs pourcents est clairement problématique. Y aurait-il là un autre facteur possible d’auto-régulation ? J’entends par là que les gérants eux-mêmes en viennent à s’abstenir de sélectionner des fonds trop coûteux ? Sur le papier probablement mais dans la réalité, à voir…