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Secret professionnel des juristes d’entreprises – Késako ?

A teneur d’un communiqué [1] du 22 avril, le Conseil fédéral met en consultation un avant-projet de loi sur les juristes d’entreprise. Selon le communiqué, et sans que j’aie encore étudié en détail le texte et ses motifs (les liens sont dans le communiqué), il instaure un statut professionnel facultatif comportant notamment un secret professionnel restreint. L’idée est, afin d’obtenir un meilleur respect du droit par les entreprises, d’augmenter l’indépendance des juristes internes en les mettant au bénéfice d’un secret professionnel opposable à  la justice portant sur leur activité de conseil. Cela doit les mettre en position d’évaluer les agissements et la marche de l’entreprise, y compris d’éventuelles constatations de violation du droit, avec indépendance envers la hiérarchie interne et sans que ces travaux ne puissent ensuite être saisis et utilisés pour incriminer l’entreprise. Quelques questions et considérations à chaud. Renforce-t-il ou affaiblit-il le secret professionnel de l’avocat ? Est-ce là une concurrence, dommageable ou non, pour les avocats – ou pas vraiment ? En découle-t-il d’autres conséquences juridiques ?

La protection au titre du secret professionnel des échanges entre l’avocat et son client, le cas échéant une entreprise, est aujourd’hui relativement bien définie. Dans des temps pas si lointains, débat il y a cependant eu sur ce qui était couvert par le secret de l’avocat s’agissant d’écrits, lettres ou consultations saisis chez le client ou hors du cabinet de l’avocat. Sur ce point, admettre qu’il y ait une nécessité au sein de l’entreprise pour des évaluations internes qui ne puissent ensuite être utilisées pour l’incriminer ne peut que renforcer le secret de l’avocat et la définition de la sphère qu’il recouvre.

Le projet vise également et en corollaire à accorder au juriste d’entreprise une indépendance interne qui puisse lui permettre de procéder à des évaluations objectives sans être lié pour celles-ci par sa hiérarchie. Ce secret restreint et cette indépendance conférés au juriste d’entreprise portent-ils atteinte à l’activité de l’avocat, juriste précisément indépendant et soumis au secret professionnel ? Il est clair que l’avocat – par définition externe – peut être consulté pour les mêmes tâches. L’intérêt de l’entreprise à pouvoir faire de même avec un employé est cependant certain. Le juriste interne connaît l’entreprise, y évolue, a la matière à disposition, et peut fonctionner et produire ses appréciations en son sein et de manière probablement plus efficace et économique sur une base permanente que le recours à un avocat externe. La réalité est probablement que nombre d’entreprises d’une certaine importance ont déjà des juristes qui remplissent de telles tâches, mais avec un risque judiciaire ou en tout cas des incertitudes en cas de mise en cause. De prime abord, il semble difficile de penser que le secret professionnel de l’avocat doive être exclusif, pas même du fait de son indépendance propre ou de son monopole de la représentation en justice. Quelle que soit la qualité d’un ou de juristes d’entreprise, la prise d’une opinion externe, a fortiori de la part d’un praticien de la justice, restera opportune ou nécessaire – mais c’est là la décision du client.

Un peu plus étonnante et discutable est l’origine du projet dans une velléité ayant existé de protéger ce secret interne dans le cadre de l’unification de la procédure pénale, dégagée dans ce texte séparé par motion de la Commission des affaires juridiques du Conseil national. Inquiétant également est l’amalgame qui semble se faire de plus en plus fréquemment aux Chambres entre l’avocat inscrit, et indépendant, et celui qui a passé un brevet d’avocat mais exerce dans le secteur privé sans précisément jouir de cette indépendance et devoir satisfaire les conditions qui vont avec. Comme si le secret devenait finalement lié à la personne par l’obtention d’un brevet une fois dans sa vie, mais sans égard pour les conditions d’exercice de la profession d’avocat. Il faudra qu’il y ait débat et information sur tous les aspects de ce projet et toutes ses implications, et que les ordres cantonaux et la FSA l’étudient et prennent dûment position dans la procédure de consultation.