Il y a les désormais célèbres « Chère Evelyne » et « Cher Pierre ». Il y a notre stupide armée qui prend pour exercice un scénario dans lequel une province française nous envahit. Et à la prochaine Coupe du Monde, notre Nati de segundos pour l’essentiel mercenaires européens affrontera la France de vedettes capables du meilleur comme du pire taxées à 75% – comme quoi le droit fiscal est partout. Ca promet d’être rigolo. Des Suisses tâcherons, rugueux, pas très créatifs sauf quelques individualités, restant sur leur excellente série contre des adversaires malgré tout modestes, auront leur carte à jouer contre les divas peu homogènes et chamailleuses de la France. Plus près de nous et au titre du contexte des relations avec notre grand voisin et ami, la convention en matière de successions, si le Conseil des Etats suit le Conseil national, ne sera pas ratifiée. Les analyses vont bon train car c’est l’un des sujets clé du moment, un feuilleton qui dure depuis dix-huit mois et qui est un bon baromètre de plein de choses : c’est un geste symbolique, souverainiste, et tout. Et ce vote intervient opportunément à un moment auquel la roue tourne aussi en France – un ras-le-bol fiscal a surgi et ébranlé le gouvernement -, mais il y a surtout une bonne raison philosophique. A conséquences identiques ou quasi, mieux vaut alors le vide conventionnel qu’une solution par laquelle la Suisse accepterait la position française de taxation d’avoirs sis en Suisse d’un défunt domicilié en Suisse. Et à cela il n’y a aucune raison, et a fortiori que c’est une réaction à l’exil fiscal en Suisse de riches français ne voulant plus subir la double-spoliation de taux prohibitifs sur le revenu et les successions.
Et puis il y a ce paradoxe que les déçus de l’Europe dans les pays de l’Union nous envient notre démocratie et que ce vote, il est parfaitement démocratique. Si les Etats ont le droit de légiférer différemment en plein de matières selon leurs sensibilités, il peut y aller de même en matière fiscale dans laquelle l’oppression et l’exportation du nivellement à la hausse des ponctions fiscales n’ont aucune légitimité. Très bien donc. Mais des législations matériellement et philosophiquement différentes entrainent des conflits pervers dans un monde qui se globalise. Ainsi le juge Van Ruymbeke a-t-il mis en examen un banquier suisse. Cela n’est pas surprenant : c’était écrit depuis 1995 en réalité – les premiers travaux du GAFI qui a l’OCDE sur les genoux ou l’inverse. Le vent avait un sens, ce jour-là devait arriver, c’est tombé sur M. Reyl à la faveur du couac Cahuzac – comme cela aurait pu survenir dans une autre affaire. Ces affaires-là sortent toujours de manière impromptue et collatérale. Ce n’est pas rassurant que ce soit le juge Van Ruymbeke : dans Clearstream [1], bis repetita, la justice française n’avait rien compris à ce qui était clair depuis le jour 1 pour quiconque connaissant un peu le système financier. Ce n’est pas rassurant non plus dès lors qu’en France, la Chambre de l’Instruction n’y comprend guère plus et est une chambre d’enregistrement. Mais qu’un banquier suisse soit mis en examen pour blanchiment de fraude fiscale, si des actes donnent la compétence française, nonobstant la différence de qualification de ces deux notions entre le droit suisse et le droit français, it was bound to happen et difficile d’y redire.
Qu’un magistrat français empêche, au titre du contrôle judiciaire, un banquier étranger soumis à l’autorité de surveillance étrangère de gérer sa banque à l’étranger, ça en revanche c’est inédit – et juridiquement nul : une décision comportant une interdiction de faire de droit pénal français n’est pas applicable en Suisse – où se trouve cette banque. Qu’un magistrat français, si les choses se sont passées ainsi tel que rapporté par la presse, mette en examen parce que le prévenu – dont le droit de sa taire est au demeurant garanti – refuse de violer le droit pénal de son Etat de domicile et d’exploitation de sa banque, ce n’est pas seulement un conflit technique de règles de droit différentes d’un Etat à l’autre. C’est de la contrainte et une violation des garanties fondamentales de procédure. Au même titre que le Ministère public de la Confédération a poursuivi en Suisse les fonctionnaires allemands ayant payé des CD volés avec des fonds étatiques, M. Van Ruymbeke devrait être poursuivi en Suisse au pénal pour contrainte. On arrivera alors à la situation suivante qui redevient un conflit matériel et philosophique entre des normes de droit différentes d’un Etat à l’autre dans un monde global : le banquier suisse inculpé en France et susceptible de mandat d’arrêt international parce qu’il refuse de dévoiler le nom de ses clients français commettant une fraude fiscale pour ne pas violer son propre droit pénal, et un magistrat français inculpé en Suisse pour contrainte également susceptible de mandat d’arrêt international parce qu’il exerce une pression illicite pour que le banquier suisse viole son propre droit pénal. Comme ça ni l’un ni l’autre ne pourra plus aller en vacances hors de chez lui. Cela nous mène où ces absurdités ?