
The Grisham Industry
La Justice fascine et inspire. Parce que c’est l’un des pouvoirs de la démocratie (ou l’instrument des dictatures), investi de la puissance publique. Parce qu’il y a un rapport de force et à la justice dans le sens de ce qui est juste, ce qui fait appel à la sensibilité personnelle, à l’empathie et au sens moral. Parce que c’est le lieu d’affrontements sociétaux, dogmatiques, ou simplement entre le bien et le mal, le lieu de douleurs, réparation et rédemption. Parce qu’elle fait appel à l’art de convaincre, au travail des faits et des preuves, et à la rhétorique. Pas étonnant qu’elle ait inspiré autant de fiction littéraire et filmique – en lien ou non avec le crime. D’histoires vraies comme Violette Nozière (Chabrol, 1977, avec Isabelle Huppert) à romancées comme Des Hommes d’Honneur (A Few Good Men avec Tom Cruise et Nicholson, 1992, tiens tiens adapté par Aaron Sorkin (The West Wing)), de Erin Brockovich au Pull Over Rouge sur l’avant-dernier condamné à mort français exécuté, des dizaines de romans et films projetant un regard sur cet obscur processus qu’est la Justice, craint et courtisé à la fois, porteur de tous les espoirs et de toutes les défiances, méfiances, soulagements ou déceptions. Un homme en a fait son fonds de commerce, une véritable industrie, et ancien avocat repenti : John Grisham.
Un site Internet dédié à son oeuvre – active et commerciale – pour cet avocat défroqué devenu écrivain. Et un filon qu’il exploite avec succès et constance depuis vingt-six ans : le thriller juridique. Vingt-trois romans tous aux titres évocateurs : The Client, The Firm, The Partner, The Litigators, The Summons, The Confession, etc. Avec comme milestone à l’écran il y a vingt ans déjà The Firm (1993), de rien moins que Sidney Pollack et avec Tom Cruise, film-culte qui vient d’inspirer une série éponyme lancée en juillet 2012 sur NBC. Bref un vrai business de fiction juridique… tout simplement tirée de la réalité. Parce que la réalité juridique et judiciaire est riche de situations intéressantes et possédant une trame, une chute et une composante humaine riche, avec rapports de force, bien et mal, juste et injuste, qui siéent à la fiction. Chaque avocat ou presque peut parler de ses affaires comme un romancier, a envie d’en dire l’injuste, le combat et, à son dénouement, la victoire ou l’injustice. Chaque avocat est un Grisham potentiel – avec ou sans talent littéraire. Comme disait Frédéric Taddeï dans le journal, quand il lui était demandé pourquoi d’animateur il n’a jamais voulu devenir créateur : « Quelle satisfaction peut-on retirer d’être le 550ème roman de la rentrée ? En littérature, vous vous battez contre Tolstoï, Proust et Steinbeck. » Ou contre Grisham…